Kritische Edition des Libretto-Erstdrucks Wien 1786 (Libretto)   Kritische Edition der Vorlage von Beaumarchais, Kehl 1785 (Vorlage)  
ATTO TERZO
Sala ricca con due troni e preparata a festa nuziale.
SCENA I
Il Conte solo che passeggia.
Il Conte
Che imbarazzo è mai questo! Un foglio anonimo…
1055
la cameriera in gabinetto chiusa…
la padrona confusa… un uom che salta
dal balcone in giardino… un altro appresso
che dice esser quel desso…
Non so cosa pensar: potrebbe forse
1060
qualcun de' miei vassalli… A simil razza
è comune l'ardir… Ma la Contessa…
Ah che un dubbio l'offende… Ella rispetta
troppo sé stessa; e l'onor mio… l'onore…
dove diamin l'ha posto umano errore!
SCENA II
SCÈNE XXIV
Il sudetto, la Contessa e Susanna. S'arrestano in fondo alla scena, non vedute dal Conte.
Suzanne, la Comtesse.
La Comtesse, dans sa bergère.
Vous voyez, Suzanne, la jolie scène que votre étourdi m'a value avec son billet.
Suzanne
Ah ! madame, quand je suis rentrée du cabinet, si vous aviez vu votre visage ! il s'est terni tout à coup ; mais ce n'a été qu'un nuage ; et par degrés vous êtes devenue rouge, rouge, rouge !
La Comtesse
Il a donc sauté par la fenêtre ?
Suzanne
Sans hésiter, le charmant enfant ! léger… comme une abeille.
La Comtesse
Ah ! ce fatal jardinier ! Tout cela m'a remuée au point… que je ne pouvais rassembler deux idées.
Suzanne
Ah ! madame, au contraire ; et c'est là que j'ai vu combien l'usage du grand monde donne d'aisance aux dames comme il faut, pour mentir sans qu'il y paraisse.
La Comtesse
Crois-tu que le Comte en soit la dupe ? et s'il trouvait cet enfant au château !
Suzanne
Je vais recommander de le cacher si bien…
La Contessa
La Comtesse
(A Susanna.)
1065
Via, fatti core: digli
Il faut qu'il parte. Après ce qui vient d'arriver, vous croyez bien que je ne suis pas tentée de l'envoyer au jardin à votre place.
che ti attenda in giardino.
Suzanne
Il est certain que je n'irai pas non plus. Voilà donc mon mariage encore une fois…
Il Conte
Saprò se Cherubino
era giunto a Siviglia: a tale oggetto
ho mandato Basilio…
Susanna
(Alla Contessa.)
Oh cielo! E Figaro!
La Contessa
La Comtessese lève.
1070
A lui non déi dir nulla: in vece tua
Attends… Au lieu d'un autre ou de toi, si j'y allais moi-même ?
voglio andarci io medesma.
Il Conte
Avanti sera
dovrebbe ritornar…
Susanna
Suzanne
Oddio!… Non oso!…
Vous, madame ?
La Contessa
La Comtesse
Pensa che or sta in tua mano il mio riposo.
Il n'y aurait personne d'exposé… Le Comte alors ne pourrait nier… Avoir puni sa jalousie et lui prouver son infidélité ! cela serait… Allons : le bonheur d'un premier hasard m'enhardit à tenter le second. Fais-lui savoir promptement que tu te rendras au jardin. Mais surtout que personne…
Suzanne
Ah ! Figaro.
La Comtesse
Non, non. Il voudrait mettre ici du sien… Mon masque de velours et ma canne, que j'aille y rêver sur la terrasse. (Suzanne entre dans le cabinet de toilette.)
(Si nasconde.)
SCÈNE XXV
La Comtesse, seule.
Il est assez effronté mon petit projet ! (Elle se retourne.) Ah ! le ruban ! mon joli ruban ! je t'oubliais ! (Elle le prend sur sa bergère et le roule.) Tu ne me quitteras plus… tu me rappelleras la scène où ce malheureux enfant… Ah ! Monsieur le Comte, qu'avez-vous fait ?… Et moi, que fais-je en ce moment ?
SCÈNE XXVI
La Comtesse, Suzanne.
(La Comtesse met furtivement le ruban dans son sein.)
Suzanne
Voici la canne et votre loup.
La Comtesse
Souviens-toi que je t'ai défendu d'en dire un mot à Figaro.
Suzanne, avec joie.
Madame, il est charmant votre projet. Je viens d'y réfléchir. Il rapproche tout, termine tout, embrasse tout ; et, quelque chose qui arrive, mon mariage est maintenant certain. (Elle baise la main de sa maîtresse.)
(Elles sortent.)
Fin du second acte.
Pendant l'entracte, des valets arrangent la salle d'audience: on apporte les deux banquettes à dossier des avocats, que l'on place aux deux côtés du théâtre, de façon que le passage soit libre par-derrière. On pose une estrade à deux marches dans le milieu du théâtre, vers le fond, sur laquelle on place le fauteuil du Comte. On met la table du greffier et son tabouret de côté sur le devant, et des sièges pour Brid'oison et d'autres juges, des deux côtés de l'estrade du Comte.
ACTE III
Le théâtre représente une salle du château, appelée salle du trône et servant de salle d'audience, ayant sur le côté une impériale en dais et, dessous, le portrait du roi.
SCÈNE PREMIÈRE
Le Comte, Pédrille, en veste et botté, tenant un paquet cacheté.
Le Comte, vite.
M'as-tu bien entendu ?
Pédrille
Excellence, oui. (Il sort.)
SCÈNE II
Le Comte seul, criant.
Pédrille ?
SCÈNE III
Le Comte, Pédrille revient.
Pédrille
Excellence ?
Le Comte
On ne t'a pas vu ?
Pédrille
Âme qui vive.
Le Comte
Prenez le cheval barbe.
Pédrille
Il est à la grille du potager, tout sellé.
Le Comte
Ferme, d'un trait, jusqu'à Séville.
Pédrille
Il n'y a que trois lieues, elles sont bonnes.
Le Comte
En descendant, sachez si le page est arrivé.
Pédrille
Dans l'hôtel ?
Le Comte
Oui ; surtout depuis quel temps.
Pédrille
J'entends.
Le Comte
Remets-lui son brevet et reviens vite.
Pédrille
Et s'il n'y était pas ?
Le Comte
Revenez plus vite et m'en rendez compte. Allez.
SCÈNE IV
Le Comte seul, marche en rêvant.
J'ai fait une gaucherie en éloignant Bazile !… la colère n'est bonne à rien. – Ce billet remis par lui, qui m'avertit d'une entreprise sur la Comtesse ; la camariste enfermée quand j'arrive ; la maîtresse affectée d'une terreur fausse ou vraie ; un homme qui saute par la fenêtre, et l'autre après qui avoue… ou qui prétend que c'est lui… Le fil m'échappe. Il y a là-dedans une obscurité… Des libertés chez mes vassaux, qu'importe à gens de cette étoffe ? Mais la Comtesse ! si quelque insolent attentait… où m'égaré-je ? En vérité quand la tête se monte, l'imagination la mieux réglée devient folle comme un rêve ! – Elle s'amusait ; ces ris étouffés, cette joie mal éteinte ! – Elle se respecte, et mon honneur… où diable on l'a placé ! De l'autre part où suis-je ? cette friponne de Suzanne a-t-elle trahi mon secret ?… Comme il n'est pas encore le sien… Qui donc m'enchaîne à cette fantaisie ? j'ai voulu vingt fois y renoncer… Étrange effet de l'irrésolution ! si je la voulais sans débat, je la désirerais mille fois moins. – Ce Figaro se fait bien attendre ! il faut le sonder adroitement, (Figaro paraît dans le fond ; il s'arrête.) et tâcher, dans la conversation que je vais avoir avec lui, de démêler d'une manière détournée s'il est instruit ou non de mon amour pour Suzanne.
SCÈNE V
Le Comte, Figaro.
Figaro, à part.
Nous y voilà.
Le Comte
…S'il en sait par elle un seul mot…
Figaro, à part.
Je m'en suis douté.
Le Comte
…je lui fais épouser la vieille.
Figaro, à part.
Les amours de monsieur Bazile.
Le Comte
…Et voyons ce que nous ferons de la jeune.
Figaro, à part.
Ah ! ma femme, s'il vous plaît.
Le Comtese retourne.
Hein ? quoi ? qu'est-ce que c'est ?
Figaros'avance.
Moi, qui me rends à vos ordres.
Le Comte
Et pourquoi ces mots ?
Figaro
Je n'ai rien dit.
Le Comterépète.
« Ma femme, s'il vous plaît ? »
Figaro
C'est… la fin d'une réponse que je faisais : « Allez le dire à ma femme, s'il vous plaît ».
Le Comtese promène.
« Sa femme » !… Je voudrais bien savoir quelle affaire peut arrêter Monsieur, quand je le fais appeler ?
Figaro, feignant d'assurer son habillement.
Je m'étais sali sur ces couches en tombant ; je me changeais.
Le Comte
Faut-il une heure ?
Figaro
Il faut le temps.
Le Comte
Les domestiques ici… sont plus longs à s'habiller que les maîtres !
Figaro
C'est qu'ils n'ont point de valets pour les y aider.
Le Comte
…Je n'ai pas trop compris ce qui vous avait forcé tantôt de courir un danger inutile, en vous jetant…
Figaro
Un danger ! on dirait que je me suis engouffré tout vivant…
Le Comte
Essayez de me donner le change en feignant de le prendre, insidieux valet ! vous entendez fort bien que ce n'est pas le danger qui m'inquiète, mais le motif.
Figaro
Sur un faux avis, vous arrivez furieux, renversant tout, comme le torrent de la Morena ; vous cherchez un homme ; il vous le faut, ou vous allez briser les portes, enfoncer les cloisons ! je me trouve là par hasard ; qui sait dans votre emportement si…
Le Comte, interrompant.
Vous pouviez fuir par l'escalier.
Figaro
Et vous, me prendre au corridor.
Le Comte, en colère.
Au corridor ! (À part.) Je m'emporte, et nuis à ce que je veux savoir.
Figaro, à part.
Voyons-le venir, et jouons serré.
Le Comte, radouci.
Ce n'est pas ce que je voulais dire, laissons cela. J'avais… oui, j'avais quelque envie de t'emmener à Londres, courrier de dépêches… mais toutes réflexions faites…
Figaro
Monseigneur a changé d'avis ?
Le Comte
Premièrement, tu ne sais pas l'anglais.
Figaro
Je sais God-dam.
Le Comte
Je n'entends pas.
Figaro
Je dis que je sais God-dam.
Le Comte
Eh bien ?
Figaro
Diable ! c'est une belle langue que l'anglais ; il en faut peu pour aller loin. Avec God-dam en Angleterre, on ne manque de rien nulle part. – Voulez-vous tâter d'un bon poulet gras ? entrez dans une taverne, et faites seulement ce geste au garçon. (Il tourne la broche.) God-dam ! on vous apporte un pied de bœuf salé sans pain. C'est admirable ! Aimez-vous à boire un coup d'excellent bourgogne ou de clairet ? rien que celui-ci. (Il débouche une bouteille.) God-dam ! on vous sert un pot de bière, en bel étain, la mousse aux bords. Quelle satisfaction ! Rencontrez-vous une de ces jolies personnes qui vont trottant menu, les yeux baissés, coudes en arrière, et tortillant un peu des hanches ? mettez mignardement tous les doigts unis sur la bouche. Ah ! God-dam ! elle vous sangle un soufflet de crocheteur. Preuve qu'elle entend. Les Anglais, à la vérité, ajoutent par-ci, par-là quelques autres mots en conversant ; mais il est bien aisé de voir que God-dam est le fond de la langue ; et si Monseigneur n'a pas d'autre motif de me laisser en Espagne…
Le Comte, à part.
Il veut venir à Londres ; elle n'a pas parlé.
Figaro, à part.
Il croit que je ne sais rien ; travaillons-le un peu dans son genre.
Le Comte
Quel motif avait la Comtesse pour me jouer un pareil tour ?
Figaro
Ma foi, Monseigneur, vous le savez mieux que moi.
Le Comte
Je la préviens sur tout et la comble de présents.
Figaro
Vous lui donnez, mais vous êtes infidèle. Sait-on gré du superflu à qui nous prive du nécessaire ?
Le Comte
…Autrefois tu me disais tout.
Figaro
Et maintenant je ne vous cache rien.
Le Comte
Combien la Comtesse t'a-t-elle donné pour cette belle association ?
Figaro
Combien me donnâtes-vous pour la tirer des mains du docteur ? Tenez, Monseigneur, n'humilions pas l'homme qui nous sert bien, crainte d'en faire un mauvais valet.
Le Comte
Pourquoi faut-il qu'il y ait toujours du louche en ce que tu fais ?
Figaro
C'est qu'on en voit partout quand on cherche des torts.
Le Comte
Une réputation détestable !
Figaro
Et si je vaux mieux qu'elle ? y a-t-il beaucoup de seigneurs qui puissent en dire autant ?
Le Comte
Cent fois je t'ai vu marcher à la fortune, et jamais aller droit.
Figaro
Comment voulez-vous ? la foule est là : chacun veut courir, on se presse, on pousse, on coudoie, on renverse, arrive qui peut ; le reste est écrasé. Aussi c'est fait ; pour moi, j'y renonce.
Le Comte
À la fortune ? (À part.) Voici du neuf.
Figaro
(À part.) À mon tour maintenant. (Haut.) Votre Excellence m'a gratifié de la conciergerie du château ; c'est un fort joli sort ; à la vérité je ne serai pas le courtier étrenné des nouvelles intéressantes ; mais en revanche, heureux avec ma femme au fond de l'Andalousie…
Le Comte
Qui t'empêcherait de l'emmener à Londres ?
Figaro
Il faudrait la quitter si souvent que j'aurais bientôt du mariage par-dessus la tête.
Le Comte
Avec du caractère et de l'esprit, tu pourrais un jour t'avancer dans les bureaux.
Figaro
De l'esprit pour s'avancer ? Monseigneur se rit du mien. Médiocre et rampant ; et l'on arrive à tout.
Le Comte
…Il ne faudrait qu'étudier un peu sous moi la politique.
Figaro
Je la sais.
Le Comte
Comme l'anglais, le fond de la langue !
Figaro
Oui, s'il y avait de quoi se vanter. Mais feindre d'ignorer ce qu'on sait, de savoir tout ce qu'on ignore, d'entendre ce qu'on ne comprend pas, de ne point ouïr ce qu'on entend, surtout de pouvoir au-delà de ses forces ; avoir souvent pour grand secret de cacher qu'il n'y en a point ; s'enfermer pour tailler des plumes et paraître profond, quand on n'est, comme on dit, que vide et creux ; jouer bien ou mal un personnage ; répandre des espions et pensionner des traîtres ; amolir des cachets ; intercepter des lettres ; et tâcher d'ennoblir la pauvreté des moyens par l'importance des objets : voilà toute la politique, ou je meure !
Le Comte
Eh ! c'est l'intrigue que tu définis !
Figaro
La politique, l'intrigue, volontiers ; mais comme je les crois un peu germaines, en fasse qui voudra. « J'aime mieux ma mie, ô gué », comme dit la chanson du bon roi.
Le Comte, à part.
Il veut rester. J'entends… Suzanne m'a trahi.
Figaro, à part.
Je l'enfile et le paye en sa monnaie.
Le Comte
Ainsi tu espères gagner ton procès contre Marceline ?
Figaro
Me feriez-vous un crime de refuser une vieille fille, quand Votre Excellence se permet de nous souffler toutes les jeunes ?
Le Comte, raillant.
Au tribunal, le magistrat s'oublie et ne voit plus que l'ordonnance.
Figaro
Indulgente aux grands, dure aux petits…
Le Comte
Crois-tu donc que je plaisante ?
Figaro
Eh ! qui le sait, Monseigneur ? Tempo è galant'uomo, dit l'italien ; il dit toujours la vérité : c'est lui qui m'apprendra qui me veut du mal ou du bien.
Le Comte, à part.
Je vois qu'on lui a tout dit ; il épousera la duègne.
Figaro, à part.
Il a joué au fin avec moi ; qu'a-t-il appris ?
SCÈNE VI
Le Comte, un Laquais, Figaro.
Le Laquais, annonçant.
Don Gusman Brid'oison.
Le Comte
Brid'oison ?
Figaro
Eh ! sans doute. C'est le juge ordinaire ; le lieutenant du siège ; votre prud'homme.
Le Comte
Qu'il attende.
(Le laquais sort.)
SCÈNE VII
Le Comte, Figaro.
Figaroreste un moment à regarder le Comte qui rêve.
…Est-ce-là ce que Monseigneur voulait ?
Le Comte, revenant à lui.
Moi ?… Je disais d'arranger ce salon pour l'audience publique.
Figaro
Eh, qu'est-ce qu'il manque ? le grand fauteuil pour vous, de bonnes chaises aux prud'hommes, le tabouret du greffier, deux banquettes aux avocats, le plancher pour le beau monde, et la canaille derrière. Je vais renvoyer les frotteurs.
(Il sort.)
SCÈNE VIII
Le Comte, seul.
Le maraud m'embarrassait ! en disputant, il prend son avantage, il vous serre, vous enveloppe… Ah ! friponne et fripon ! vous vous entendez pour me jouer ! Soyez amis, soyez amants, soyez ce qu'il vous plaira, j'y consens ; mais, parbleu, pour époux…
Il Conte
E Susanna? Chi sa ch'ella tradito
1075
abbia il secreto mio… Oh se ha parlato
gli fo sposar la vecchia…
SCÈNE IX
Suzanne, le Comte.
Susanna
Suzanne, essoufflée.
(Marcellina!…) Signor…
Monseigneur… pardon, Monseigneur.
Il Conte
Le Comte, avec humeur.
(Serio.)
Cosa bramate?
Qu'est-ce qu'il y a, mademoiselle ?
Susanna
Suzanne
Mi par che siate in collera!
Vous êtes en colère !
Il Conte
Le Comte
Volete qualche cosa?
Vous voulez quelque chose apparemment ?
Susanna
Suzanne, timidement.
1080
Signor… la vostra sposa
C'est que ma maîtresse a ses vapeurs. J'accourais vous prier de nous prêter votre flacon d'éther. Je l'aurais rapporté dans l'instant.
ha i soliti vapori
e vi chiede il fiaschetto degli odori.
Il Conte
Prendete.
Susanna
Or vel riporto.
Il Conte
Le Comtele lui donne.
Eh no, potete
Non, non, gardez-le pour vous-même. Il ne tardera pas à vous être utile.
ritenerlo per voi.
Susanna
Suzanne
Per me? Scusate,
Est-ce que les femmes de mon état ont des vapeurs, donc ? c'est un mal de condition qu'on ne prend que dans les boudoirs.
1085
questi non sono mali
da donne triviali.
Il Conte
Le Comte
Un'amante che perde il caro sposo
Une fiancée bien éprise, et qui perd son futur…
sul punto d'ottenerlo…
Susanna
Suzanne
Pagando Marcellina
En payant Marceline avec la dot que vous m'avez promise…
1090
co la dote che voi mi prometteste…
Il Conte
Le Comte
Ch'io vi promisi? Quando?
Que je vous ai promise, moi ?
Susanna
Suzanne, baissant les yeux.
Credea d'averlo inteso…
Monseigneur, j'avais cru l'entendre.
Il Conte
Le Comte
Sì, se voluto aveste
Oui, si vous consentiez à m'entendre vous-même.
intender me voi stessa.
Susanna
Suzanne, les yeux baissés.
1095
È questo il mio dovere,
Et n'est-ce pas mon devoir d'écouter Son Excellence ?
e quel di Sua Eccellenza è il mio volere.
Il Conte
Le Comte
    Crudel! Perché finora
Pourquoi donc, cruelle fille ! ne me l'avoir pas dit plutôt ?
farmi languir così?
Susanna
Suzanne
Signor, la donna ognora
Est-il jamais trop tard pour dire la vérité ?
1100
tempo ha dir di sì.
Il Conte
Le Comte
    Dunque in giardin verrai?
Tu te rendrais sur la brune au jardin ?
Susanna
Suzanne
Se piace a voi verrò.
Est-ce que je ne m'y promène pas tous les soirs ?
Il Conte
E non mi mancherai?
Susanna
No, non vi mancherò.
Il Conte
(Con gioia.)
1105
    Mi sento dal contento
pieno di gioia il cor.
Susanna
Scusatemi se mento,
voi che intendete amor.
Il Conte
Le Comte
E perché fosti meco
Tu m'as traité ce matin si durement !
1110
stamattina sì austera?
Susanna
Suzanne
Col paggio ch'ivi c'era…
Ce matin ? – et le page derrière le fauteuil ?
Il Conte
Le Comte
Ed a Basilio
Elle a raison, je l'oubliais. Mais pourquoi ce refus obstiné, quand Bazile, de ma part ?…
che per me ti parlò?…
Susanna
Suzanne
Ma qual bisogno
Quelle nécessité qu'un Bazile ?…
abbiam noi che un Basilio…
Il Conte
Le Comte
È vero, è vero.
Elle a toujours raison. Cependant il y a un certain Figaro à qui je crains bien que vous n'ayez tout dit !
Suzanne
Dame ! oui, je lui dis tout – hors ce qu'il faut lui taire.
Le Comte, en riant.
E mi prometti poi…
Ah ! charmante ! Et tu me le promets ? Si tu manquais à ta parole, entendons-nous, mon cœur : point de rendez-vous, point de dot, point de mariage.
1115
Se tu manchi, o cor mio… Ma la Contessa
Suzanne, faisant la révérence.
Mais aussi, point de mariage, point de droit du seigneur, Monseigneur.
Le Comte
attenderà il fiaschetto.
Où prend-elle ce qu'elle dit ? d'honneur j'en rafollerai ! Mais ta maîtresse attend le flacon…
Susanna
Suzanne, riant et rendant le flacon.
Eh fu un pretesto:
Aurais-je pu vous parler sans un prétexte ?
parlato io non avrei senza di questo.
Il Conte
Le Comteveut l'embrasser.
(Le prende la mano.)
Carissima!
Délicieuse créature !
Susanna
Suzannes'échappe.
(Si ritira.)
Vien gente.
Voilà du monde.
Il Conte
Le Comte, à part.
(È mia senz'altro.)
Elle est à moi. (Il s'enfuit.)
Susanna
Suzanne
(Forbitevi la bocca, o signor scaltro.)
Allons vite rendre compte à Madame.
SCENA III
SCÈNE X
Figaro, la Susanna e il Conte.
Suzanne, Figaro.
Figaro
Figaro
1120
Ehi Susanna, ove vai?
Suzanne, Suzanne ! où cours-tu donc si vite en quittant Monseigneur ?
Susanna
Suzanne
Taci: senza avvocato
Plaide à présent, si tu le veux ; tu viens de gagner ton procès. (Elle s'enfuit.)
hai già vinta la causa.
(Entra.)
Figaro
Figarola suit.
Cosa è nato?
Ah ! mais, dis donc…
(La segue.)
SCÈNE XI
Le Comte rentre seul.
Il Conte
"Hai già vinta la causa"! Cosa sento!
« Tu viens de gagner ton procès » ! – Je donnais là dans un bon piège ! Ô mes chers insolents ! je vous punirai de façon… Un bon arrêt, bien juste… mais s'il allait payer la duègne… avec quoi ?… s'il payait… Eeeeh ! n'ai-je pas le fier Antonio, dont le noble orgueil dédaigne en Figaro un inconnu pour sa nièce ? En caressant cette manie… pourquoi non ? dans le vaste champ de l'intrigue, il faut savoir tout cultiver, jusqu'à la vanité d'un sot. (Il appelle.) Anto… (Il voit entrer Marceline, etc.)
In qual laccio io cadea!
Perfidi! Io voglio
1125
di tal modo punirvi!… A piacer mio
la sentenza sarà…
Ma s'ei pagasse
la vecchia pretendente?
Pagarla!… In qual maniera?… E poi v'è Antonio
che a un incognito Figaro ricusa
1130
di dare una nipote in matrimonio.
Coltivando l'orgoglio
di questo mentecatto…
Tutto giova a un raggiro… Il colpo è fatto.
    Vedrò, mentr'io sospiro,
1135
felice un servo mio?
E un ben che invan desio
ei posseder dovrà?
    Vedrò per man d'amore
unita a un vile oggetto
1140
chi in me destò un affetto
che per me poi non ha?
    Ah no, lasciarti in pace,
non vo' questo contento;
tu non nascesti, audace,
1145
per dare a me tormento
e forse ancor per ridere
di mia infelicità.
    Già la speranza sola
de le vendette mie
1150
quest'anima consola
e giubilar mi fa.
(Vuol partire e s'incontra in Don Curzio.)
(Il sort.)
SCÈNE XII
Bartholo, Marceline, Brid’oison.
Marceline, à Brid'oison.
Monsieur, écoutez mon affaire.
Brid'oison, en robe, et bégayant un peu.
Eh bien ! pa-arlons-en verbalement.
Bartholo
C'est une promesse de mariage.
Marceline
Accompagnée d'un prêt d'argent.
Brid'oison
J'en-entends, et cætera, le reste.
Marceline
Non, monsieur, point d'et cætera.
Brid'oison
J'en-entends : vous avez la somme ?
Marceline
Non, monsieur, c'est moi qui l'ai prêtée.
Brid'oison
J'en-entends bien : vou-ous redemandez l'argent ?
Marceline
Non, monsieur ; je demande qu'il m'épouse.
Brid'oison
Eh, mais, j'en-entends fort bien ; et lui, veu-eut-il vous épouser ?
Marceline
Non, monsieur ; voilà tout le procès !
Brid'oison
Croyez-vous que je ne l'en-entende pas, le procès ?
Marceline
Non, monsieur. (À Bartholo.) Où sommes-nous ! (À Brid'oison.) Quoi ! c'est vous qui nous jugerez ?
Brid'oison
Est-ce que j'ai a-acheté ma charge pour autre chose ?
Marceline, en soupirant.
C'est un grand abus que de les vendre !
Brid'oison
Oui, l'on-on ferait mieux de nous les donner pour rien. Contre qui plai-aidez-vous ?
SCÈNE XIII
Bartholo, Marceline, Brid’oison; Figaro rentre en se frottant les mains.
Marceline, montrant Figaro.
Monsieur, contre ce malhonnête homme.
Figaro, très gaiement, à Marceline.
Je vous gêne, peut-être. – Monseigneur revient dans l'instant, monsieur le conseiller.
Brid'oison
J'ai vu ce ga-arçon-là quelque part.
Figaro
Chez madame votre femme, à Séville, pour la servir, monsieur le conseiller.
Brid'oison
Dan-ans quel temps ?
Figaro
Un peu moins d'un an avant la naissance de monsieur votre fils, le cadet, qui est un bien joli enfant, je m'en vante.
Brid'oison
Oui, c'est le plus jo-oli de tous. On dit que tu-u fais ici des tiennes ?
Figaro
Monsieur est bien bon. Ce n'est là qu'une misère.
Brid'oison
Une promesse de mariage ! A-ah ! le pauvre benêt !
Figaro
Monsieur…
Brid'oison
A-t-il vu mon-on secrétaire, ce bon garçon ?
Figaro
N'est-ce pas Double-Main, le greffier ?
Brid'oison
Oui, c'est qu'il mange à deux râteliers.
Figaro
Manger ! je suis garant qu'il dévore. Oh que oui, je l'ai vu, pour l'extrait et pour le supplément d'extrait ; comme cela se pratique, au reste.
Brid'oison
On-on doit remplir les formes.
Figaro
Assurément, monsieur : si le fond des procès appartient aux plaideurs, on sait bien que la forme est le patrimoine des tribunaux.
Brid'oison
Ce garçon-là n'è-est pas si niais que je l'avais cru d'abord. Eh bien, l'ami, puisque tu en sais tant, nou-ous aurons soin de ton affaire.
Figaro
Monsieur, je m'en rapporte à votre équité, quoique vous soyez de notre justice.
Brid'oison
Hein ?… Oui, je suis de la-a justice. Mais si tu dois et que tu-u ne payes pas ?…
Figaro
Alors Monsieur voit bien que c'est comme si je ne devais pas.
Brid'oison
San-ans doute. – Eh mais ! qu'est-ce donc qu'il dit ?
SCÈNE XIV
Bartholo, Marceline, le Comte, Brid’oison, Figaro, un Huissier.
L'Huissier, précédant le Comte, crie.
Monseigneur, messieurs.
Le Comte
En robe ici, seigneur Brid'oison ! ce n'est qu'une affaire domestique : l'habit de ville était trop bon.
Brid'oison
C'è-est vous qui l'êtes, Monsieur le Comte. Mais je ne vais jamais san-ans elle ; parce que la forme, voyez-vous, la forme ! Tel rit d'un juge en habit court, qui-i tremble au seul aspect d'un procureur en robe. La forme, la-a forme !
Le Comte, à l'huissier.
Faites entrer l'audience.
L'Huissierva ouvrir en glapissant.
L'audience !
SCENA IV
SCÈNE XV
Il Conte, Marcellina, Don Curzio, Figaro, Bartolo; poi Susanna.
Les acteurs précedents, Antonio, les valets du château, les paysans et paysannes en habits de fête; le Comte s'assied sur le grand fauteuil, Brid’oison sur une chaise à côté; le Greffier sur le tabouret derrière sa table; les juges, les advocats sur les banquettes; Marceline à côté de Bartholo; Figaro sur l'autre banquette; les paysans et valets debout derrière.
Brid'oison, à Double-Main.
Double-Main, a-appelez les causes.
Double-Mainlit un papier.
Noble, très noble, infiniment noble, Dom Pedro George, Hidalgo, baron de Los Altos, y Montes Fieros, y otros montes ; contre Alonzo Calderon, jeune auteur dramatique. Il est question d'une comédie mort-née, que chacun désavoue et rejette sur l'autre.
Le Comte
Ils ont raison tous deux. Hors de Cour. S'ils font ensemble un autre ouvrage, pour qu'il marque un peu dans le grand monde, ordonné que le noble y mettra son nom, le poète son talent.
Double-Mainlit un autre papier.
André Petrutchio, laboureur ; contre le receveur de la province. Il s'agit d'un forcement arbitraire.
Le Comte
L'affaire n'est pas de mon ressort. Je servirai mieux mes vassaux en les protégeant près du Roi. Passez.
Double-Mainen prend un troisième.
(Bartholo et Figaro se lèvent.)
Barbe-Agar-Raab-Magdelène-Nicole-Marceline de Verte-Allure, fille majeure ; (Marceline se lève et salue.) contre Figaro… nom de baptême en blanc ?
Figaro
Anonyme.
Brid'oison
A-anonyme ! Què-el patron est-ce-là ?
Figaro
C'est le mien.
Double-Mainécrit.
Contre anonyme Figaro. Qualités ?
Figaro
Gentilhomme.
Le Comte
Vous êtes gentilhomme ? (Le greffier écrit.)
Figaro
Si le Ciel l'eût voulu, je serais fils d'un prince.
Le Comte, au greffier.
Allez.
L'Huissier, glapissant.
Silence, messieurs.
Double-Mainlit.
…Pour cause d'opposition faite au mariage dudit Figaro, par ladite de Verte-Allure. Le docteur Bartholo plaidant pour la demanderesse, et ledit Figaro pour lui-même ; si la Cour le permet, contre le vœu de l'usage, et la jurisprudence du siège.
Figaro
L'usage, maître Double-Main, est souvent un abus ; le client un peu instruit sait toujours mieux sa cause que certains avocats qui, suant à froid, criant à tue tête, et connaissant tout, hors le fait, s'embarrassent aussi peu de ruiner le plaideur que d'ennuyer l'auditoire, et d'endormir Messieurs ; plus boursoufflés après que s'ils eussent composé l'Oratio pro Murena ; moi je dirai le fait en peu de mots. Messieurs…
Double-Main
En voilà beaucoup d'inutiles, car vous n'êtes pas demandeur et n'avez que la défense. Avancez, docteur, et lisez la promesse.
Figaro
Oui, promesse !
Bartholo, mettant ses lunettes.
Elle est précise.
Brid'oison
I-il faut la voir.
Double-Main
Silence donc, messieurs.
L'Huissier, glapissant.
Silence.
Barthololit.
« Je soussigné reconnais avoir reçu de damoiselle, etc., Marceline de Verte-Allure, dans le château d'Aguas-Frescas, la somme de deux mille piastres fortes cordonnées ; laquelle somme je lui rendrai à sa réquisition, dans ce château, et je l'épouserai, par forme de reconnaissance, etc. » Signé Figaro, tout court. Mes conclusions sont au payement du billet, et à l'exécution de la promesse, avec dépens. (Il plaide.) Messieurs… jamais cause plus intéressante ne fut soumise au jugement de la Cour ! et depuis Alexandre le Grand, qui promit mariage à la belle Thalestris…
Le Comte, interrompant.
Avant d'aller plus loin, avocat… convient-on de la validité du titre ?
Brid'oison, à Figaro.
Qu'oppo… qu'oppo-osez-vous à cette lecture ?
Figaro
Qu'il y a, messieurs, malice, erreur, ou distraction dans la manière dont on a lu la pièce ; car il n'est pas dit dans l'écrit : « laquelle somme je lui rendrai et je l'épouserai » ; mais : « laquelle somme je lui rendrai ou je l'épouserai » ; ce qui est bien différent.
Le Comte
Y a-t-il et dans l'acte, ou bien ou ?
Bartholo
Il y a et.
Figaro
Il y a ou.
Brid'oison
Dou-ouble-Main, lisez vous-même.
Double-Main, prenant le papier.
Et c'est le plus sûr ; car souvent les parties déguisent en lisant. (Il lit.) « E, e, e, damoiselle e, e, e, de Verte-allure e, e, e… Ha ! laquelle somme je lui rendrai à sa réquisition, dans ce château… etouetou… » Le mot est si mal écrit… il y a un pâté.
Brid'oison
Un pâ-âté ? je sais ce que c'est.
Bartholo, plaidant.
Je soutiens, moi, que c'est la conjonction copulative et qui lie les membres corrélatifs de la phrase : je paierai la demoiselle et je l'épouserai.
Figaro, plaidant.
Je soutiens, moi, que c'est la conjonction alternative ou qui sépare lesdits membres ; je payerai la donzelle ou je l'épouserai : à pédant, pédant et demi ; qu'il s'avise de parler latin, j'y suis grec ; je l'extermine.
Le Comte
Comment juger pareille question ?
Bartholo
Pour la trancher, messieurs, et ne plus chicaner sur un mot, nous passons qu'il y ait ou.
Figaro
J'en demande acte.
Bartholo
Et nous y adhérons. Un si mauvais refuge ne sauvera pas le coupable : examinons le titre en ce sens. (Il lit.) « Laquelle somme je lui rendrai dans ce château je l'épouserai ». C'est ainsi qu'on dirait, messieurs : « vous vous ferez saigner dans ce lit vous resterez chaudement », c'est « dans lequel ».
« Il prendra deux gros de rhubarbe vous mêlerez un peu de tamarin » ; dans lesquels on mêlera. Ainsi « château je l'épouserai », messieurs, c'est « château dans lequel »…
Figaro
Point du tout : la phrase est dans le sens de celle-ci : « ou la maladie vous tuera, ou ce sera le médecin ; ou bien le médecin » ; c'est incontestable. Autre exemple : « ou vous n'écrirez rien qui plaise, ou les sots vous dénigreront ; ou bien les sots » ; le sens est clair ; car, audit cas, « sots ou méchants » sont le substantif qui gouverne. Maître Bartholo croit-il donc que j'aie oublié ma syntaxe ? Ainsi, je la payerai dans ce château, virgule ; ou je l'épouserai…
Bartholo, vite.
Sans virgule.
Figaro, vîte.
Elle y est. C'est virgule, messieurs, ou bien je l'épouserai.
Bartholo, regardant le papier; vite.
Sans virgule, messieurs.
Figaro, vite.
Elle y était, messieurs. D'ailleurs, l'homme qui épouse est-il tenu de rembourser ?
Bartholo, vite.
Oui ; nous nous marions séparés de biens.
Figaro, vite.
Et nous de corps, dès que mariage n'est pas quittance. (Les juges se lèvent et opinent tout bas.)
Bartholo
Plaisant acquittement !
Double-Main
Silence, messieurs.
L'Huissier, glapissant.
Silence.
Bartholo
Un pareil fripon appelle cela payer ses dettes !
Figaro
Est-ce votre faute, avocat, que vous plaidez ?
Bartholo
Je défends cette demoiselle.
Figaro
Continuez à déraisonner ; mais cessez d'injurier. Lorsque, craignant l'emportement des plaideurs, les tribunaux ont toléré qu'on appelât des tiers, ils n'ont pas entendu que ces défenseurs modérés deviendraient impunément des insolents privilégiés. C'est dégrader le plus noble institut. (Les juges continuent d'opiner bas.)
Antonio, à Marceline, montrant les juges.
Qu'ont-ils tant à balbucifier ?
Marceline
On a corrompu le grand juge, il corrompt l'autre, et je perds mon procès.
Bartholo, bas, d'un ton sombre.
J'en ai peur.
Figaro, gaiement.
Courage, Marceline.
Double-Mainse lève; à Marceline.
Ah, c'est trop fort ! je vous dénonce ; et pour l'honneur du tribunal, je demande qu'avant faire droit sur l'autre affaire, il soit prononcé sur celle-ci.
Le Comtes'assied.
Non, greffier, je ne prononcerai point sur mon injure personnelle : un juge espagnol n'aura point à rougir d'un excès digne au plus des tribunaux asiatiques : c'est assez des autres abus ! J'en vais corriger un second en vous motivant mon arrêt : tout juge qui s'y refuse est un grand ennemi des lois ! Que peut requérir la demanderesse ? mariage à défaut de paiement ; les deux ensemble impliqueraient.
Double-Main
Silence, messieurs !
L'Huissier, glapissant.
Silence !
Le Comte
Que nous répond le défendeur ? qu'il veut garder sa personne ; à lui permis.
Figaro, avec joie.
J'ai gagné.
Don Curzio
Le Comte
È decisa la lite.
Mais comme le texte dit : « laquelle femme je payerai à la première réquisition, ou bien j'épouserai, etc. », la Cour condamne le défendeur à payer deux mille piastres fortes à la demanderesse, ou bien à l'épouser dans le jour. (Il se lève.)
"O pagarla o sposarla." Ora ammutite.
Figaro, stupéfait.
J'ai perdu.
Antonio, avec joie.
Superbe arrêt.
Figaro
En quoi superbe ?
Antonio
En ce que tu n'es plus mon neveu. Grand merci, Monseigneur.
L'Huissier, glapissant.
Passez, messieurs. (Le peuple sort.)
Antonio
Je m'en vas tout conter à ma nièce. (Il sort.)
SCÈNE XVI
Le Comte, allant de côté et d'autre; Marceline, Bartholo, Figaro, Brid’oison.
Marcellina
Marcelines'assied.
Io respiro.
Ah ! je respire.
Figaro
Figaro
Ed io moro.
Et moi, j'étouffe.
Le Comte, à part.
Au moins je suis vengé, cela soulage.
Marcellina
1155
(Alfin sposa io sarò d'un uom che adoro.)
Figaro
Figaro, à part.
Eccellenza, m'appello…
Et ce Bazile qui devait s'opposer au mariage de Marceline ; voyez comme il revient ! – (Au Comte qui sort.) Monseigneur, vous nous quittez ?
Il Conte
Le Comte
È giusta la sentenza.
Tout est jugé.
O pagar o sposar. Bravo, Don Curzio.
Figaro, à Brid'oison.
C'est ce gros enflé de conseiller…
Brid'oison
Moi, gro-os enflé !
Don Curzio
Bontà di Sua Eccellenza.
Bartolo
1160
Che superba sentenza!
Figaro
In che superba?
Bartolo
Siam tutti vendicati.
Figaro
Figaro
Io non la sposerò.
Sans doute. Et je ne l'épouserai pas : je suis gentilhomme une fois. (Le Comte s'arrête.)
Bartolo
Bartholo
La sposerai.
Vous l'épouserez.
Don Curzio
O pagarla o sposarla.
Marcellina
Io t'ho prestati
1165
duemila pezzi duri.
Figaro
Figaro
Son gentiluomo, e senza
Sans l'aveu de mes nobles parents ?
l'assenso de' miei nobili parenti…
Il Conte
Bartholo
Dove sono? Chi sono?…
Nommez-les, montrez-les.
Figaro
Figaro
Lasciate ancor cercarli:
Qu'on me donne un peu de temps : je suis bien près de les revoir ; il y a quinze ans que je les cherche.
1170
dopo dieci anni io spero di trovarli.
Bartolo
Bartholo
Qualche bambin trovato.
Le fat ! c'est quelqu'enfant trouvé !
Figaro
Figaro
No, perduto, dottor, anzi rubato.
Enfant perdu, docteur ; ou plutôt enfant volé.
Il Conte
Come?
Marcellina
Cosa?
Bartolo
Le Comterevient.
La pruova?
« Volé, perdu », la preuve ? il crierait qu'on lui fait injure !
Don Curzio
Il testimonio?
Figaro
Figaro
L'oro, le gemme e i ricamati panni
Monseigneur, quand les langes à dentelles, tapis brodés et joyaux d'or trouvés sur moi par les brigands n'indiqueraient pas ma haute naissance, la précaution qu'on avait prise de me faire des marques distinctives témoignerait assez combien j'étais un fils précieux ; et cet hiéroglyphe à mon bras… (Il veut se dépouiller le bras droit.)
1175
che ne' più teneri anni
mi ritrovaro addosso i masnadieri
sono gli indizi veri
di mia nascita illustre, e sopra tutto
questo al mio braccio impresso geroglifico…
Marcellina
Marceline, se levant vivement.
1180
Una spatola impressa al braccio destro…
Une spatule à ton bras droit ?
Figaro
Figaro
E a voi chi 'l disse?
D'où savez-vous que je dois l'avoir ?
Marcellina
Marceline
Oddio!
Dieux ! c'est lui !
È egli…
Figaro
Figaro
È ver, son io.
Oui, c'est moi.
Don Curzio
Bartholo, à Marceline.
Chi?
Et qui ? lui !
Il Conte
Chi?
Bartolo
Chi?
Marcellina
Marceline, vivement.
Raffaello.
C'est Emmanuel.
Bartolo
Bartholo, à Figaro.
E i ladri ti rapir…
Tu fus enlevé par des bohémiens ?
Figaro
Figaro, exalté.
…presso un castello.
Tout près d'un château. Bon docteur, si vous me rendez à ma noble famille, mettez un prix à ce service ; des monceaux d'or n'arrêteront pas mes illustres parents.
Bartolo
Bartholo, montrant Marceline.
1185
Ecco tua madre.
Voilà ta mère.
Figaro
Figaro
Balia…
…Nourrice ?
Bartolo
Bartholo
No, tua madre.
Ta propre mère.
Don Curzio, il Conte
Le Comte
Sua madre!
Sa mère !
Figaro
Figaro
Cosa sento!
Expliquez-vous.
Marcellina
Marceline, montrant Bartholo.
Ecco tuo padre.
Voilà ton père.
Figaro, désolé.
Oh oh oh ! aïe de moi !
Marceline
Est-ce que la nature ne te l'a pas dit mille fois ?
Figaro
Jamais.
Le Comte, à part.
Sa mère !
Marcellina
(Corre ad abbracciar Figaro.)
    Riconosci in questo amplesso
una madre, amato figlio!
Figaro
(A Bartolo.)
Padre mio, fate lo stesso,
1190
non mi fate più arrossir.
Bartolo
(Abbraccia Figaro e restano così fino al verso "Lascia, iniquo".)
    Resistenza la coscienza
far non lascia al tuo desir.
Don Curzio
Brid'oison
Ei suo padre, ella sua madre:
C'est clair, i-il ne l'épousera pas.
l'imeneo non può seguir.
Ce qui suit, enfermé entre ces deux index, a été retranché par les Comédiens-Français aux représentations de Paris.Bartholo
Ni moi non plus.
Marceline
Ni vous ! et votre fils ? vous m'aviez juré…
Bartholo
J'étais fou. Si pareils souvenirs engageaient, on serait tenu d'épouser tout le monde.
Brid'oison
E-et si l'on y regardait de si près, per-ersonne n'épouserait personne.
Bartholo
Des fautes si connues ! une jeunesse déplorable !
Marceline, s'échauffant par degrés.
Oui, déplorable, et plus qu'on ne croit ! Je n'entends pas nier mes fautes, ce jour les a trop bien prouvées ! mais qu'il est dur de les expier après trente ans d'une vie modeste ! J'étais née, moi, pour être sage, et je la suis devenue sitôt qu'on m'a permis d'user de ma raison. Mais dans l'âge des illusions, de l'inexpérience et des besoins, où les séducteurs nous assiègent, pendant que la misère nous poignarde, que peut opposer une enfant à tant d'ennemis rassemblés ? Tel nous juge ici sévèrement, qui, peut-être, en sa vie a perdu dix infortunées !
Figaro
Les plus coupables sont les moins généreux ! c'est la règle.
Marceline, vivement.
Hommes plus qu'ingrats, qui flétrissez par le mépris les jouets de vos passions, vos victimes ! c'est vous qu'il faut punir des erreurs de notre jeunesse ; vous et vos magistrats, si vains du droit de nous juger, et qui nous laissent enlever, par leur coupable négligence, tout honnête moyen de subsister. Est-il un seul état pour les malheureuses filles ? Elles avaient un droit naturel à toute la parure des femmes : on y laisse former mille ouvriers de l'autre sexe.
Figaro, en colère.
Ils font broder jusqu'aux soldats !
Marceline, exaltée.
Dans les rangs mêmes plus élevés, les femmes n'obtiennent de vous qu'une considération dérisoire ; leurrées de respects apparents, dans une servitude réelle ; traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes ! ah ! sous tous les aspects, votre conduite avec nous fait horreur ou pitié !
Figaro
Elle a raison !
Le Comte, à part.
Que trop raison !
Brid'oison
Elle a, mon-on Dieu, raison.
Marceline
Mais que nous sont, mon fils, les refus d'un homme injuste ? ne regarde pas d'où tu viens, vois où tu vas ; cela seul importe à chacun. Dans quelques mois, ta fiancée ne dépendra plus que d'elle-même ; elle t'acceptera, j'en réponds : vis entre une épouse, une mère tendres qui te chériront à qui mieux mieux. Sois indulgent pour elles, heureux pour toi, mon fils ; gai, libre, et bon pour tout le monde : il ne manquera rien à ta mère.
Figaro
Tu parles d'or, maman, et je me tiens à ton avis. Qu'on est sot, en effet ! il y a des mille, mille ans que le monde roule, et dans cet océan de durée où j'ai par hasard attrapé quelques chétifs trente ans qui ne reviendront plus, j'irais me tourmenter pour savoir à qui je les dois ! tant pis pour qui s'en inquiète ! Passer ainsi la vie à chamailler, c'est peser sur le collier sans relâche, comme les malheureux chevaux de la remonte des fleuves qui ne reposent pas, même quand ils s'arrêtent, et qui tirent toujours quoiqu'ils cessent de marcher. Nous attendrons… ←
Il Conte
Le Comte
1195
Son deluso, son confuso;
Sot événement qui me dérange !
meglio è assai di qua partir.
(Il Conte va per partire, Susanna l'arresta.)
Brid'oison, à Figaro.
Et la noblesse et le château ? vous impo-osez à la justice ?
Figaro
Elle allait me faire faire une belle sottise, la justice ! après que j'ai manqué, pour ces maudits cent écus, d'assommer vingt fois monsieur, qui se trouve aujourd'hui mon père ! Mais, puisque le Ciel à sauvé ma vertu de ces dangers, mon père, agréez mes excuses… Et vous, ma mère, embrassez-moi… le plus maternellement que vous pourrez.
(Marceline lui saute au cou.)
SCÈNE XVII
Bartholo, Figaro, Marceline, Brid’oison, Suzanne, Antonio, le Comte.
Susanna
Suzanne, accourant une bourse à la main.
    Alto, alto, signor Conte,
Monseigneur, arrêtez ; qu'on ne les marie pas : je viens payer madame avec la dot que ma maîtresse me donne.
mille doppie son qui pronte:
a pagar vengo per Figaro
1200
ed a porlo in libertà.
Le Comte, à part.
Au diable la maîtresse ! Il semble que tout conspire…
(Il sort.)
SCÈNE XVIII
Bartholo, Antonio, Suzanne, Figaro, Marceline, Brid’oison.
Il Conte, Don Curzio
Antonio, voyant Figaro embrasser sa mère, dit à Suzanne.
    Non sappiam com'è la cosa,
Ah ! oui, payer ! Tiens, tiens.
osservate un poco là.
Suzannese retourne.
J'en vois assez : sortons, mon oncle.
Figaro, l'arrêtant.
Non, s'il vous plaît. Que vois-tu donc ?
Suzanne
Ma bêtise et ta lâcheté.
Figaro
Pas plus de l'une que de l'autre.
Susanna
Suzanne, en colère.
(Si volge e vede Figaro che abbraccia Marcellina.)
Già d'accordo ei se la sposa:
Et que tu l'épouses à gré, puisque tu la caresses.
giusto ciel, che infedeltà!
(Vuol partire.)
1205
    Lascia, iniquo.
Figaro
Figaro, gaiement.
No, t'arresta.
Je la caresse ; mais je ne l'épouse pas.
Senti, o cara…
(Figaro la trattiene: ella fa forza, poi dà uno schiaffo a Figaro.)
(Suzanne veut sortir, Figaro la retient.)
Susanna
Suzannelui donne un soufflet.
Senti questa.
Vous êtes bien insolent d'oser me retenir !
Bartolo, Figaro, Marcellina
Figaro, à la compagnie.
È un effetto di bon core,
C'est-il çà de l'amour ? Avant de nous quitter, je t'en supplie, envisage bien cette chère femme-là.
tutto amore è quel che fa.
Il Conte, Don Curzio
Fremo|Freme, smanio|smania dal furore,
1210
il destino me la|gliela fa.
Susanna
Suzanne
Fremo, smanio dal furore,
Je la regarde.
Figaro
Et tu la trouves ?
Suzanne
una vecchia a me la fa.
Affreuse.
Figaro
Et vive la jalousie ! elle ne vous marchande pas.
Marcellina
Marceline, les bras ouverts.
(Corre ad abbracciar Susanna.)
    Lo sdegno calmate,
Embrasse ta mère, ma jolie Suzanette. Le méchant qui te tourmente est mon fils.
mia cara figliuola,
1215
sua madre abbracciate
che vostra or sarà.
Susanna
Suzannecourt à elle.
    Sua madre?
Vous sa mère ! (Elles restent dans les bras l'une de l'autre.)
Antonio
C'est donc de tout à l'heure ?
Figaro
…Que je le sais.
Marceline, exaltée.
Non, mon cœur entraîné vers lui ne se trompait que de motif ; c'était le sang qui me parlait.
Figaro
Et moi le bon sens, ma mère, qui me servait d'instinct quand je vous refusais, car j'étais loin de vous haïr ; témoin l'argent…
Tutti
(A Susanna.)
Sua madre.
Figaro
(A Susanna.)
E quello è mio padre
che a te lo dirà.
Susanna
1220
    Suo padre?
Tutti
(A Susanna.)
Suo padre.
Figaro
(A Susanna.)
E quella è mia madre
che a te lo dirà.
(Corrono tutti quattro ad abbracciarsi.)
Susanna, Figaro, Bartolo, Marcellina
    Al dolce diletto
che m'agita il petto
1225
quest'anima appena
resistere or sa.
Il Conte, Don Curzio
    A l'ira, al dispetto
che m'agita il petto
quest'|quell'anima appena
1230
resistere or sa.
(Il Conte e Don Curzio partono.)
SCENA V
Marcellina, Bartolo, Figaro, Susanna.
Marcellina
(A Bartolo.)
Eccovi, o caro amico, il dolce frutto
de l'antico amor nostro…
Bartolo
Or non parliamo
di fatti sì rimoti; egli è mio figlio,
mia consorte voi siete,
1235
e le nozze farem quando volete.
Marcellina
Marcelinelui remet un papier.
Oggi, e doppie saranno:
(Dà il biglietto a Figaro.)
prendi, questo è il biglietto
Il est à toi : reprends ton billet, c'est ta dot.
del danar che a me devi, ed è tua dote.
Susanna
Suzannelui jette la bourse.
(Gitta per terra una borsa di danari.)
Prendi ancor questa borsa.
Prends encore celle-ci.
Bartolo
(Fa lo stesso.)
E questa ancora.
Figaro
Figaro
1240
Bravi, gittate pur ch'io piglio ognora.
Grand merci.
Marceline, exaltée.
Fille assez malheureuse, j'allais devenir la plus misérable des femmes et je suis la plus fortunée des mères ! Embrassez-moi, mes deux enfants ; j'unis dans vous toutes mes tendresses. Heureuse autant que je puis l'être, ah ! mes enfants, combien je vais aimer !
Figaro, attendri, avec vivacité.
Arrête donc, chère mère ! arrête donc ! voudrais-tu voir se fondre en eau mes yeux noyés des premières larmes que je connaisse ? elles sont de joie, au moins. Mais quelle stupidité ! j'ai manqué d'en être honteux : je les sentais couler entre mes doigts, regarde ; (Il montre ses doigts écartés.) et je les retenais bêtement ! va te promener, la honte ! je veux rire et pleurer en même temps ; on ne sent pas deux fois ce que j'éprouve. (Il embrasse sa mère d'un côté, Suzanne de l'autre.)
(Bartholo, Antonio, Suzanne, Figaro, Marceline, Brid'oison.)
Marceline
Ô mon ami !
Suzanne
Mon cher ami !
Brid'oison, s'essuyant les yeux d'un mouchoir.
Eh bien ! moi ! je suis donc bê-ête aussi !
Figaro, exalté.
Chagrin, c'est maintenant que je puis te défier : atteins-moi, si tu l'oses, entre ces deux femmes chéries.
Antonio, à Figaro.
Pas tant de cajoleries, s'il vous plaît. En fait de mariage dans les familles, celui des parents va devant, savez. Les vôtres se baillent-ils la main ?
Bartholo
Ma main ! puisse-t-elle se dessécher et tomber, si jamais je la donne à la mère d'un tel drôle !
Antonio, à Bartholo.
Vous n'êtes donc qu'un père marâtre ? (À Figaro.) En ce cas, not' galant, plus de parole.
Suzanne
Ah ! mon oncle…
Antonio
Irai-je donner l'enfant de not' sœur à sti qui n'est l'enfant de personne ?
Brid'oison
Est-ce que cela-a se peut, imbécile ? on-on est toujours l'enfant de quelqu'un.
Antonio
Tarare !… il ne l'aura jamais. (Il sort.)
SCÈNE XIX
Bartholo, Suzanne, Figaro, Marceline, Brid’oison.
Bartholo, à Figaro.
Et cherche à présent qui t'adopte. (Il veut sortir.)
Marceline, courant prendre Bartholo à bras le corps, le ramène.
Arrêtez, docteur, ne sortez pas.
Figaro, à part.
Non, tous les sots d'Andalousie sont, je crois, déchaînés contre mon pauvre mariage !
(Suzanne, Bartholo, Marceline, Figaro, Brid'oison.)
Suzanne, à Bartholo.
Bon petit papa, c'est votre fils.
Marceline, à Bartholo.
De l'esprit, des talents, de la figure.
Figaro, à Bartholo.
Et qui ne vous a pas coûté une obole.
Bartholo
Et les cent écus qu'il m'a pris ?
Marceline, le caressant.
Nous aurons tant de soin de vous, papa !
Suzanne, le caressant.
Nous vous aimerons tant, petit papa !
Bartholo, attendri.
Papa ! bon papa ! petit papa ! voilà que je suis plus bête encore que Monsieur, moi. (Montrant Brid'oison.) Je me laisse aller comme un enfant. (Marceline et Suzanne l'embrassent.) Oh ! non, je n'ai pas dit oui. (Il se retourne.) Qu'est donc devenu Monseigneur ?
Susanna
Voliamo ad informar d'ogni avventura
madama e nostro zio.
Chi al par di me contenta!
Figaro
Io.
Marcellina
Io.
Bartolo
Io.
A quattro
Figaro
E schiatti il signor Conte al gioir mio.
Courons le joindre ; arrachons-lui son dernier mot. S'il machinait quelqu'autre intrigue, il faudrait tout recommencer.
TOUS ENSEMBLE
Courons, courons.
(Partono abbracciati.)
(Ils entraînent Bartholo dehors.)
SCÈNE XX
Brid’oison, seul.
Plus bê-ête encore que Monsieur ! On peut se dire à soi-même ces-es sortes de choses-là, mais… I-ils ne sont pas polis du tout dan-ans cet endroit-ci. (Il sort.)
Fin du troisième acte.
ACTE IV
Le théâtre représente une galerie ornée de candélabres, de lustres allumés, de fleurs, de guirlandes, en un mot préparée pour donner une fête. Sur le devant à droite est une table avec une écritoire, un fauteuil derrière.
SCÈNE PREMIÈRE
Figaro, Suzanne.
Figaro, la tenant à bras-le-corps.
Eh bien ! amour, es-tu contente ? elle a converti son docteur, cette fine langue dorée de ma mère ! malgré sa répugnance il l'épouse, et ton bourru d'oncle est bridé ; il n'y a que Monseigneur qui rage, car enfin notre hymen va devenir le prix du leur. Ris donc un peu de ce bon résultat.
Suzanne
As-tu rien vu de plus étrange ?
Figaro
Ou plutôt d'aussi gai. Nous ne voulions qu'une dot arrachée à l'Excellence ; en voilà deux dans nos mains, qui ne sortent pas des siennes. Une rivale acharnée te poursuivait ; j'étais tourmenté par une furie ; tout cela s'est changé, pour nous, dans « la plus bonne » des mères. Hier j'étais comme seul au monde ; et voilà que j'ai tous mes parents ; pas si magnifiques, il est vrai, que je me les étais galonnés ; mais assez bien pour nous, qui n'avons pas la vanité des riches.
Suzanne
Aucune des choses que tu avais disposées, que nous attendions, mon ami, n'est pourtant arrivée !
Figaro
Le hasard a mieux fait que nous tous, ma petite : ainsi va le monde ; on travaille, on projette, on arrange d'un côté ; la fortune accomplit de l'autre : et depuis l'affamé conquérant qui voudrait avaler la terre, jusqu'au paisible aveugle qui se laisse mener par son chien, tous sont le jouet de ses caprices ; encore l'aveugle au chien est-il souvent mieux conduit, moins trompé dans ses vues, que l'autre aveugle avec son entourage. – Pour cet aimable aveugle, qu'on nomme Amour… (Il la reprend tendrement à bras-le-corps.)
Suzanne
Ah ! c'est le seul qui m'intéresse !
Figaro
Permets donc que, prenant l'emploi de la folie, je sois le bon chien qui le mène à ta jolie mignone porte ; et nous voilà logés pour la vie.
Suzanne, riant.
L'Amour et toi ?
Figaro
Moi et l'Amour.
Suzanne
Et vous ne chercherez pas d'autre gîte ?
Figaro
Si tu m'y prends, je veux bien que mille millions de galants…
Suzanne
Tu vas exagérer : dis ta bonne vérité.
Figaro
Ma vérité la plus vraie !
Suzanne
Fi donc, vilain ! en a-t-on plusieurs ?
Figaro
Oh ! que oui. Depuis qu'on a remarqué qu'avec le temps vieilles folies deviennent sagesse, et qu'anciens petits mensonges, assez mal plantés, ont produit de grosses, grosses vérités, on en a de mille espèces ! Et celles qu'on sait, sans oser les divulguer : car toute vérité n'est pas bonne à dire ; et celles qu'on vante, sans y ajouter foi : car toute vérité n'est pas bonne à croire ; et les serments passionnés, les menaces des mères, les protestations des buveurs, les promesses des gens en place, le dernier mot de nos marchands ; cela ne finit pas. Il n'y a que mon amour pour Suzon qui soit une vérité de bon aloi.
Suzanne
J'aime ta joie, parce qu'elle est folle ; elle annonce que tu es heureux. Parlons du rendez-vous du Comte.
Figaro
Ou plutôt n'en parlons jamais ; il a failli me coûter Suzanne.
Suzanne
Tu ne veux donc plus qu'il ait lieu ?
Figaro
Si vous m'aimez, Suzon, votre parole d'honneur sur ce point : qu'il s'y morfonde ; et c'est sa punition.
Suzanne
Il m'en a plus coûté de l'accorder que je n'ai de peine à le rompre ; il n'en sera plus question.
Figaro
Ta bonne vérité ?
Suzanne
Je ne suis pas comme vous autres savants ; moi, je n'en ai qu'une.
Figaro
Et tu m'aimeras un peu ?
Suzanne
Beaucoup.
Figaro
Ce n'est guère.
Suzanne
Et comment ?
Figaro
En fait d'amour, vois-tu, trop n'est pas même assez.
Suzanne
Je n'entends pas toutes ces finesses ; mais je n'aimerai que mon mari.
Figaro
Tiens parole, et tu feras une belle exception à l'usage. (Il veut l'embrasser.)
SCÈNE II
Figaro, Suzanne, la Comtesse.
La Comtesse
Ah ! j'avais raison de le dire : en quelque endroit qu'ils soient, croyez qu'ils sont ensemble. Allons donc, Figaro, c'est voler l'avenir, le mariage et vous-même, que d'usurper un tête-à-tête. On vous attend, on s'impatiente.
Figaro
Il est vrai, madame, je m'oublie. Je vais leur montrer mon excuse.
(Il veut emmener Suzanne.)
La Comtessela retient.
Elle vous suit.
SCENA VI
Cherubino e Barbarina.
Barbarina
1245
Andiam, andiam, bel paggio; in casa mia
tutte ritroverai
le più belle ragazze del castello,
di tutte sarai tu certo il più bello.
Cherubino
Ah se il Conte mi trova,
1250
misero me! Tu sai
che partito ei mi crede per Siviglia.
Barbarina
Oh ve' che maraviglia! E se ti trova
non sarà cosa nova… Odi… Vogliamo
vestirti come noi:
1255
tutte insieme andrem poi
a presentar de' fiori a madamina;
fidati, o Cherubin, di Barbarina.
Cherubino
    Se così brami
teco verrò:
1260
so che tu m'ami,
fidar mi vo'.
(A parte.)
    Purché il bel ciglio
riveggia ancor,
nessun periglio
1265
mi fa timor.
(Partono.)
SCENA VII
La Contessa sola.
La Contessa
E Susanna non vien! Sono ansiosa
di saper come il Conte
accolse la proposta: alquanto ardito
il progetto mi par, e ad uno sposo
1270
sì vivace e geloso…
Ma che mal c'è?
Cangiando i miei vestiti
con quelli di Susanna e i suoi co' miei…
al favor de la notte… Oh cielo, a quale
umil stato fatale io son ridotta
1275
da un consorte crudel che, dopo avermi
con un misto inaudito
d'infedeltà, di gelosie, di sdegni
prima amata, indi offesa e alfin tradita,
fammi or cercar da una mia serva aita!
1280
    Dove sono i bei momenti
di dolcezza e di piacer,
dove andaro i giuramenti
di quel labbro menzogner?
    Perché mai se in pianti e in pene
1285
per me tutto si cangiò,
la memoria di quel bene
dal mio sen non trapassò?
    Ah se almen la mia costanza,
nel languire amando ognor,
1290
mi portasse una speranza
di cangiar l'ingrato cor!
(Parte.)
SCENA VIII
Antonio con cappello in mano e il Conte.
Antonio
Io vi dico, signor, che Cherubino
è ancora nel castello,
e vedete per prova il suo cappello.
Il Conte
1295
Ma come, se a quest'ora
esser giunto a Siviglia egli dovria?
Antonio
Scusate, oggi Siviglia è a casa mia.
Là vestissi da donna e là lasciati
ha gli altri abiti suoi.
Il Conte
1300
Perfidi!
Antonio
Andiam, e li vedrete voi.
(Partono.)
SCENA IX
SCÈNE III
Susanna, la Contessa.
Suzanne, la Comtesse.
La Comtesse
As-tu ce qu'il nous faut pour troquer de vêtement ?
Suzanne
Il ne faut rien, madame ; le rendez-vous ne tiendra pas.
La Comtesse
Ah ! vous changez d'avis ?
Suzanne
C'est Figaro.
La Comtesse
Vous me trompez.
Suzanne
Bonté divine !
La Comtesse
Figaro n'est pas homme à laisser échapper une dot.
Suzanne
Madame ! eh ! que croyez-vous donc ?
La Comtesse
Qu'enfin, d'accord avec le Comte, il vous fâche à présent de m'avoir confié ses projets. Je vous sais par cœur. Laissez-moi. (Elle veut sortir.)
Suzannese jette à genoux.
Au nom du Ciel, espoir de tous ! vous ne savez pas, madame, le mal que vous faites à Suzanne ! après vos bontés continuelles et la dot que vous me donnez !…
La Comtessela relève.
Eh mais… je ne sais ce que je dis ! En me cédant ta place au jardin, tu n'y vas pas, mon cœur ; tu tiens parole à ton mari ; tu m'aides à ramener le mien.
Suzanne
Comme vous m'avez affligée !
La Contessa
Cosa mi narri! E che ne disse il Conte?
Susanna
Gli si leggeva in fronte
il dispetto e la rabbia.
La Contessa
La Comtesse
Piano, che meglio or lo porremo in gabbia.
C'est que je ne suis qu'une étourdie. (Elle la baise au front.) Où est ton rendez-vous ?
1305
Dov'è l'appuntamento
che tu gli proponesti?
Susanna
Suzannelui baise la main.
Nel giardino.
Le mot de jardin m'a seul frappée.
La Contessa
La Comtesse, montrant la table.
Fissiamgli un loco. Scrivi.
Prends cette plume, et fixons un endroit.
Susanna
Suzanne
Ch'io scriva… Ma signora…
Lui écrire !
La Contessa
La Comtesse
Eh scrivi, dico;
Il le faut.
Suzanne
Madame ! au moins, c'est vous…
La Comtesse
e tutto
Je mets tout sur mon compte. (Suzanne s'assied, la Comtesse dicte.)
1310
io prendo su me stessa.
(Susanna siede e scrive.)
« Chanson nouvelle, sur l'air :… Qu'il fera beau ce soir sous les grands maronniers !… Qu'il fera beau, ce soir… »
La Contessa
(Detta.)
    "Che soave zeffiretto…"
"…verso sera spirerà…"
Susanna
(Ripete le parole della Contessa.)
"…verso sera spirerà…"
La Contessa
"…sotto i pini del boschetto."
Susanna
Suzanneécrit.
1315
"…sotto i pini del boschetto."
« Sous les grands maronniers !… » Après ?
La Contessa
La Comtesse
Ei già il resto capirà.
Crains-tu qu'il ne t'entende pas ?
Susanna
Suzannerelit.
Certo, certo, il capirà.
C'est juste. (Elle plie le billet.) Avec quoi cacheter ?
Susanna
(Piega la lettera.)
Piegato è il foglio… Or come si sigilla?…
La Contessa
La Comtesse
(Si cava una spilla e gliela dà.)
Ecco… prendi una spilla:
Une épingle, dépêche : elle servira de réponse. Écris sur le revers : « Renvoyez-moi le cachet ».
1320
servirà di sigillo. Attendi… Scrivi
sul riverso del foglio:
"Rimandate il sigillo."
Susanna
Suzanneécrit en riant.
È più bizzarro
Ah !… « le cachet »… Celui-ci, madame, est plus gai que celui du brevet.
di quel della patente.
La Comtesse, avec un souvenir douloureux.
Ah !
Suzannecherche sur elle.
Je n'ai pas d'épingle à présent !
La Comtessedétache sa lévite.
Prends celle-ci. (Le ruban du page tombe de son sein à terre.) Ah ! mon ruban !
Suzannele ramasse.
C'est celui du petit voleur ! vous avez eu la cruauté ?…
La Comtesse
Fallait-il le laisser à son bras ? c'eût été joli ! Donnez donc !
Suzanne
Madame ne le portera plus, taché du sang de ce jeune homme.
La Comtessele reprend.
Excellent pour Fanchette… Le premier bouquet qu'elle m'apportera.
La Contessa
Presto, nascondi: io sento venir gente.
(Susanna si mette il biglietto nel seno.)
SCENA X
SCÈNE IV
Cherubino vestito da contadinella, Barbarina e alcune altre contadinelle vestite nel medesimo modo, con mazzetti di fiori.
Une jeune Bergère, Chérubin en fille, Fanchette, et beaucoup de jeunes filles habillées comme elle et tenant des bouquets. La Comtesse, Suzanne.
Coro
Fanchette
1325
    Ricevete, o padroncina,
Madame, ce sont les filles du bourg qui viennent vous présenter des fleurs.
queste rose e questi fior,
che abbiam colti stamattina
per mostrarvi il nostro amor.
    Siamo tante contadine
1330
e siam tutte poverine,
ma quel poco che rechiamo
ve lo diamo di bon cor.
Barbarina
Queste sono, madama,
le ragazze del loco,
1335
che il poco ch'han vi vengono ad offrire
e vi chiedon perdon del loro ardire.
La Contessa
La Comtesse, serrant vite son ruban.
Oh brave! Vi ringrazio.
Susanna
Come sono vezzose!
Elles sont charmantes : je me reproche, mes belles petites, de ne pas vous connaître toutes. (Montrant Chérubin.) Quelle est cette aimable enfant qui a l'air si modeste ?
La Contessa
E chi è, narratemi,
quell'amabil fanciulla
1340
ch'ha l'aria sì modesta?
Barbarina
Une Bergère
Ella è una mia cugina, e per le nozze
C'est une cousine à moi, madame, qui n'est ici que pour la noce.
è venuta ier sera.
La Contessa
La Comtesse
Onoriamo la bella forestiera.
Elle est jolie. Ne pouvant porter vingt bouquets, faisons honneur à l'étrangère. (Elle prend le bouquet de Chérubin et le baise au front.) Elle en rougit ! (À Suzanne.) Ne trouves-tu pas, Suzon… qu'elle ressemble à quelqu'un ?
Venite qui…
Datemi i vostri fiori.
(Prende i fiori di Cherubino e lo bacia in fronte.)
1345
Come arrossì!… Susanna, e non ti pare…
che somigli ad alcuno?…
Susanna
Suzanne
Al naturale.
À s'y méprendre, en vérité.
Chérubin, à part, les mains sur son cœur.
Ah ! Ce baiser-là m'a été bien loin !
SCENA XI
SCÈNE V
I sudetti, il Conte e Antonio.
Les jeunes filles, Chérubin au milieu d'elles, Fanchette, Antonio, le Comte, la Comtesse, Suzanne.
(Antonio ha il cappello di Cherubino, entra in scena pian piano, gli cava la cuffia di donna e gli mette in testa il cappello stesso.)
Antonio
Antonio
Eh! Cospettaccio! È questi l'uffiziale.
Moi je vous dis, Monseigneur, qu'il y est ; elles l'ont habillé chez ma fille ; toutes ses hardes y sont encore, et voilà son chapeau d'ordonnance que j'ai retiré du paquet. (Il s'avance, et regardant toutes les filles, il reconnaît Chérubin, lui enlève son bonnet de femme, ce qui fait retomber ses longs cheveux en cadenette. Il lui met sur la tête le chapeau d'ordonnance et dit :.) Eh ! parguenne, v'là notre officier.
La Contessa
La Comtesserecule.
(Oh stelle!)
Ah ! Ciel !
Susanna
Suzanne
(Malandrino!)
Ce friponneau !
Antonio
Quand je disais là-haut que c'était lui !…
Il Conte
Le Comte, en colère.
Ebben, madama?…
Eh bien, madame !
La Contessa
La Comtesse
Io sono, o signor mio,
Eh bien, monsieur ! vous me voyez plus surprise que vous, et, pour le moins, aussi fâchée.
1350
irritata e sorpresa al par di voi.
Il Conte
Le Comte
Ma stamane?…
Oui ; mais tantôt, ce matin ?
La Contessa
La Comtesse
Stamane…
Je serais coupable en effet, si je dissimulais encore. Il était descendu chez moi. Nous entamions le badinage que ces enfants viennent d'achever ; vous nous avez surprises l'habillant ; votre premier mouvement est si vif ! il s'est sauvé, je me suis troublée, l'effroi général a fait le reste.
per l'odierna festa
volevam travestirlo al modo stesso
che l'han vestito adesso.
Il Conte
Le Comte, avec dépit, à Chérubin.
(A Cherubino.)
1355
E perché non partiste?
Pourquoi n'êtes-vous pas parti ?
Cherubino
Chérubin, ôtant son chapeau brusquement.
(Cavandosi il cappello bruscamente.)
Signor…
Monseigneur…
Il Conte
Le Comte
Saprò punire
Je punirai ta désobéissance.
la sua disobbedienza.
Barbarina
Fanchette, étourdiment.
Eccellenza, eccellenza,
Ah ! Monseigneur, entendez-moi ! Toutes les fois que vous venez m'embrasser, vous savez bien que vous dites toujours : « Si tu veux m'aimer, petite Fanchette, je te donnerai ce que tu voudras. »
voi mi dite sì spesso
1360
qualvolta m'abbracciate e mi baciate:
"Barbarina, se m'ami
ti darò quel che brami…"
Il Conte
Le Comte, rougissant.
Io dissi questo?…
Moi ! j'ai dit cela ?
Barbarina
Fanchette
Voi.
Oui, Monseigneur. Au lieu de punir Chérubin, donnez-le-moi en mariage, et je vous aimerai à la folie.
Or datemi, padrone,
1365
in sposo Cherubino,
e v'amerò com'amo il mio gattino.
Le Comte, à part.
Être ensorcelé par un page !
La Contessa
La Comtesse
(Al Conte.)
Adesso tocca a voi.