SCÈNE IV
|
||
Figaro, la Comtesse avec les habits de Suzon, Suzanne avec ceux de la Comtesse, Marceline.
|
||
Suzanne, bas, à la Comtesse.
|
||
|
||
Marceline
|
||
|
||
Suzanne
|
||
|
||
Marceline
|
||
Pour n'en pas perdre un mot, je vais me cacher dans le pavillon.
|
||
(Elle entre dans le pavillon où est entrée Fanchette.)
|
||
SCÈNE V
|
||
Figaro, la Comtesse, Suzanne.
|
||
Suzanne, haut.
|
||
Madame tremble ! est-ce qu'elle aurait froid ?
|
||
La Comtesse, haut.
|
||
La soirée est humide, je vais me retirer.
|
||
Suzanne, haut.
|
||
|
||
La Comtesse, haut.
|
||
C'est le serein que tu prendras.
|
||
Suzanne, haut.
|
||
J'y suis toute faite.
|
||
Figaro, à part.
|
||
Ah oui, le serein !
|
||
(Suzanne se retire près de la coulisse, du côté opposé à Figaro.)
|
||
SCÈNE VI
|
||
Figaro, Chérubin, le Comte, la Comtesse, Suzanne.
|
||
(Figaro et Suzanne retirés de chaque côté sur le devant.)
|
||
Chérubin, en habit d'officier, arrive en chantant gaiement la reprise de l'air de la romance:
|
||
La, la, la, etc.
|
||
J'avais une marraine,
|
||
Que toujours adorai.
|
||
La Comtesse, à part.
|
||
Le petit page !
|
||
Chérubins'arrête.
|
||
|
||
La Comtesseécoute.
|
||
Ah grands dieux !
|
||
Chérubinse baisse en regardant de loin.
|
||
|
||
La Comtesse, à part.
|
||
Si le Comte arrivait !…
|
||
(Le Comte paraît dans le fond.)
|
||
Chérubins'approche et prend la main de la Comtesse, qui se défend.
|
||
|
||
La Comtesse, bas.
|
||
Allez-vous-en.
|
||
Chérubin
|
||
|
||
La Comtesse
|
||
Figaro va venir.
|
||
Le Comte, s'avançant, dit à part.
|
||
N'est-ce pas Suzanne que j'aperçois ?
|
||
Chérubin, à la Comtesse.
|
||
Je ne crains point du tout Figaro, car ce n'est pas lui que tu attends.
|
||
La Comtesse
|
||
Qui donc ?
|
||
Le Comte, à part.
|
||
Elle est avec quelqu'un.
|
||
Chérubin
|
||
C'est Monseigneur, friponne, qui t'a demandé ce rendez-vous ce matin, quand j'étais derrière le fauteuil.
|
||
Le Comte, à part, avec fureur.
|
||
C'est encore le page infernal !
|
||
Figaro, à part.
|
||
On dit qu'il ne faut pas écouter !
|
||
Suzanne, à part.
|
||
Petit bavard !
|
||
La Comtesse, au page.
|
||
Obligez-moi de vous retirer.
|
||
Chérubin
|
||
Ce ne sera pas au moins sans avoir reçu le prix de mon obéissance.
|
||
La Comtesse, effrayée.
|
||
Vous prétendez ?…
|
||
Chérubin, avec feu.
|
||
D'abord vingt baisers, pour ton compte, et puis cent pour ta belle maîtresse.
|
||
La Comtesse
|
||
Vous oseriez ?
|
||
Chérubin
|
||
|
||
Figaro, à part.
|
||
Ce brigandeau !
|
||
Suzanne, à part.
|
||
Hardi comme un page.
|
||
(Chérubin veut embrasser la Comtesse. Le Comte se met entre deux et reçoit le baiser.)
|
||
La Comtesse, se retirant.
|
||
Ah ! Ciel !
|
||
Figaro, à part, entendant le baiser.
|
||
J'épousais une jolie mignonne ! (Il écoute.)
|
||
Chérubin, tâtant les habits du Comte, à part.
|
||
C'est Monseigneur. (Il s'enfuit dans le pavillon où sont entrées Fanchette et Marceline.)
|
||
SCÈNE VII
|
||
Figaro, le Comte, la Comtesse, Suzanne.
|
||
Figaros'approche.
|
||
Je vais…
|
||
Le Comte, croyant parler au page.
|
||
|
||
(Il croit lui donner un soufflet.)
|
||
Figaro, qui est à portée, le reçoit.
|
||
Ah !
|
||
Le Comte
|
||
…Voilà toujours le premier payé.
|
||
Figaro s'éloigne en se frottant la joue; à part.
|
||
Tout n'est pas gain non plus en écoutant.
|
||
Suzanne, riant tout haut de l'autre côté.
|
||
Ha, ha, ha, ha !
|
||
Le Comte, à la Comtesse qu'il prend pour Suzanne.
|
||
Entend-on quelque chose à ce page ! il reçoit le plus rude soufflet et s'enfuit en éclatant de rire.
|
||
Figaro, à part.
|
||
S'il s'affligeait de celui-ci !…
|
||
Le Comte
|
||
Comment ! je ne pourrai faire un pas… (À la Comtesse.) Mais laissons cette bizarrerie ; elle empoisonnerait le plaisir que j'ai de te trouver dans cette salle.
|
||
La Comtesse, imitant le parler de Suzanne.
|
||
L'espériez-vous ?
|
||
Le Comte
|
||
Après ton ingénieux billet… (Il lui prend la main.) Tu trembles ?
|
||
La Comtesse
|
||
J'ai eu peur.
|
||
Le Comte
|
||
Ce n'est pas pour te priver du baiser que je l'ai pris.
|
||
(Il la baise au front.)
|
||
La Comtesse
|
||
Des libertés !
|
||
Figaro, à part.
|
||
Coquine !
|
||
Suzanne, à part.
|
||
Charmante !
|
||
Le Comteprend la main de sa femme.
|
||
|
||
La Comtesse, à part.
|
||
Oh ! la prévention !
|
||
Le Comte
|
||
A-t-elle ce bras ferme et rondelet ? ces jolis doigts pleins de grâce et d'espièglerie ?
|
||
La Comtesse, de la voix de Suzanne.
|
||
Ainsi l'amour ?…
|
||
Le Comte
|
||
L'amour… n'est que le roman du cœur : c'est le plaisir qui en est l'histoire ; il m'amène à tes genoux.
|
||
La Comtesse
|
||
Vous ne l'aimez plus ?
|
||
Le Comte
|
||
Je l'aime beaucoup ; mais trois ans d'union, rendent l'hymen si respectable !
|
||
La Comtesse
|
||
Que vouliez-vous en elle ?
|
||
Le Comte, la caressant.
|
||
Ce que je trouve en toi, ma beauté…
|
||
La Comtesse
|
||
Mais dites donc.
|
||
Le Comte
|
||
…Je ne sais : moins d'uniformité peut-être, plus de piquant dans les manières ; un je ne sais quoi qui fait le charme ; quelquefois un refus, que sais-je ? Nos femmes croient tout accomplir en nous aimant : cela dit une fois, elles nous aiment, nous aiment ! (quand elles nous aiment), et sont si complaisantes et si constamment obligeantes, et toujours, et sans relâche, qu'on est tout surpris un beau soir de trouver la satiété où l'on recherchait le bonheur !
|
||
La Comtesse, à part.
|
||
Ah ! quelle leçon !
|
||
Le Comte
|
||
En vérité, Suzon, j'ai pensé mille fois que si nous poursuivons ailleurs ce plaisir qui nous fuit chez elles, c'est qu'elles n'étudient pas assez l'art de soutenir notre goût, de se renouveler à l'amour, de ranimer, pour ainsi dire, le charme de leur possession par celui de la variété.
|
||
La Comtesse, piquée.
|
||
Donc elles doivent tout ?…
|
||
Le Comte, riant.
|
||
Et l'homme rien ? Changerons-nous la marche de la nature ? notre tâche, à nous, fut de les obtenir : la leur…
|
||
La Comtesse
|
||
La leur… ?
|
||
Le Comte
|
||
Est de nous retenir : on l'oublie trop.
|
||
La Comtesse
|
||
Ce ne sera pas moi.
|
||
Le Comte
|
||
Ni moi.
|
||
Figaro, à part.
|
||
Ni moi.
|
||
Suzanne, à part.
|
||
Ni moi.
|
||
Le Comteprend la main de sa femme.
|
||
|
||
La Comtesse, une révérence.
|
||
Suzanne accepte tout.
|
||
Figaro, à part.
|
||
On n'est pas plus coquine que cela.
|
||
Suzanne, à part.
|
||
Voilà du bon bien qui nous arrive.
|
||
Le Comte, à part.
|
||
Elle est intéressée ; tant mieux.
|
||
La Comtesseregarde au fond.
|
||
|
||
Le Comte
|
||
|
||
La Comtesse
|
||
Sans lumière ?
|
||
Le Comtel'entraîne doucement.
|
||
|
||
Figaro, à part.
|
||
|
||
Le Comtegrossit sa voix en se retournant.
|
||
Qui passe ici ?
|
||
Figaro, en colère.
|
||
Passer ! on vient exprès.
|
||
Le Comte, bas, à la Comtesse.
|
||
C'est Figaro !… (Il s'enfuit.)
|
||
La Comtesse
|
||
Je vous suis.
|
||
(Elle entre dans le pavillon à sa droite, pendant que le Comte se perd dans le bois, au fond.)
|
||
SCÈNE VIII
|
||
Figaro, Suzanne, dans l'obscurité.
|
||
Figarocherche à voir où vont le Comte et la Comtesse, qu'il prend pour Suzanne.
|
||
|
||
Suzanne, qui s'est avancée doucement dans l'obscurité.
|
||
(À part.) Tu vas payer tes beaux soupçons. (Du ton de voix de la Comtesse.) Qui va là ?
|
||
Figaro, extravagant.
|
||
« Qui va là ? » Celui qui voudrait de bon cœur que la peste eût étouffé en naissant…
|
||
Suzanne, du ton de la Comtesse.
|
||
Eh ! mais, c'est Figaro !
|
||
Figaroregarde, et dit vivement.
|
||
Madame la Comtesse !
|
||
Suzanne
|
||
Parlez bas.
|
||
Figaro, vite.
|
||
|
||
Suzanne
|
||
Que m'importe un ingrat ? Dis-moi…
|
||
Figaro, plus vite.
|
||
Et Suzanne mon épousée, où croyez-vous qu'elle soit ?
|
||
Suzanne
|
||
Mais parlez bas !
|
||
Figaro, très vite.
|
||
|
||
Suzanne, lui fermant la bouche avec la main, oublie de déguiser sa voix.
|
||
N'appelez pas.
|
||
Figaro, à part.
|
||
Eh c'est Suzon ! God-dam !
|
||
Suzanne, du ton de la Comtesse.
|
||
Vous paraissez inquiet.
|
||
Figaro, à part.
|
||
Traîtresse ! qui veut me surprendre !
|
||
Suzanne
|
||
Il faut nous venger, Figaro.
|
||
Figaro
|
||
En sentez-vous le vif désir ?
|
||
Suzanne
|
||
Je ne serais donc pas de mon sexe ! Mais les hommes en ont cent moyens.
|
||
Figaro, confidemment.
|
||
|
||
Suzanne, à part.
|
||
Comme je le souffleterais !
|
||
Figaro, à part.
|
||
Il serait bien gai qu'avant la noce !
|
||
Suzanne
|
||
Mais qu'est-ce qu'une telle vengeance, qu'un peu d'amour n'assaisonne pas ?
|
||
Figaro
|
||
Partout où vous n'en voyez point, croyez que le respect dissimule.
|
||
Suzanne, piquée.
|
||
Je ne sais si vous le pensez de bonne foi, mais vous ne le dites pas de bonne grâce.
|
||
Figaro, avec une chaleur comique, à genoux.
|
||
Ah ! madame, je vous adore. Examinez le temps, le lieu, les circonstances, et que le dépit supplée en vous aux grâces qui manquent à ma prière.
|
||
Suzanne, à part.
|
||
La main me brûle.
|
||
Figaro, à part.
|
||
Le cœur me bat.
|
||
Suzanne
|
||
Mais, monsieur, avez-vous songé ?…
|
||
Figaro
|
||
Oui, madame, oui, j'ai songé.
|
||
Suzanne
|
||
…Que pour la colère et l'amour…
|
||
Figaro
|
||
|
||
Suzanne, de sa voix naturelle, et lui donnant un soufflet.
|
||
La voilà.
|
||
Figaro
|
||
Ah demonio ! quel soufflet !
|
||
Suzannelui en donne un second.
|
||
|
||
Figaro
|
||
Et qu'es aquo ! de par le diable ! est-ce ici la journée des tapes ?
|
||
Suzannele bat à chaque phrase.
|
||
|
||
Figarorit en se relevant.
|
||
|
||
Suzanne
|
||
|
||
Figaro
|
||
|
||
Suzanne, en riant.
|
||
Tu m'as reconnue ? Ah ! comme je m'en vengerai !
|
||
Figaro
|
||
Bien rosser et garder rancune est aussi par trop féminin ! Mais dis-moi donc par quel bonheur je te vois là, quand je te croyais avec lui ; et comment cet habit, qui m'abusait, te montre enfin innocente…
|
||
Suzanne
|
||
Eh ! c'est toi qui es un innocent, de venir te prendre au piège apprêté pour un autre ! Est-ce notre faute à nous, si voulant museler un renard, nous en attrapons deux ?
|
||
Figaro
|
||
Qui donc prend l'autre ?
|
||
Suzanne
|
||
Sa femme.
|
||
Figaro
|
||
Sa femme ?
|
||
Suzanne
|
||
Sa femme.
|
||
Figaro, follement.
|
||
Ah ! Figaro, pends-toi ; tu n'as pas deviné celui-là ! Sa femme ? Ô douze ou quinze mille fois spirituelles femelles ! – Ainsi les baisers de cette salle… ?
|
||
Suzanne
|
||
Ont été donnés à Madame.
|
||
Figaro
|
||
Et celui du page ?
|
||
Suzanne, riant.
|
||
À Monsieur.
|
||
Figaro
|
||
Et tantôt, derrière le fauteuil ?
|
||
Suzanne
|
||
À personne.
|
||
Figaro
|
||
En êtes-vous sûre ?
|
||
Suzanne, riant.
|
||
Il pleut des soufflets, Figaro.
|
||
Figarolui baise la main.
|
||
Ce sont des bijoux que les tiens. Mais celui du Comte était de bonne guerre.
|
||
Suzanne
|
||
Allons, superbe, humilie-toi.
|
||
Figarofait tout ce qu'il annonce.
|
||
Cela est juste ; à genoux, bien courbé, prosterné, ventre à terre.
|
||
Suzanne, en riant.
|
||
Ah ! ce pauvre Comte ! quelle peine il s'est donnée…
|
||
Figarose relève sur ses genoux.
|
||
…Pour faire la conquête de sa femme !
|
||
SCÈNE IX
|
||
Le Comte entre par le fond du théâtre, et va droit au pavillon à sa droite. Figaro, Suzanne.
|
||
Le Comte, à lui-même.
|
||
Je la cherche en vain dans le bois, elle est peut-être entrée ici.
|
||
Suzanne, à Figaro, parlant bas.
|
||
C'est lui.
|
||
Le Comte, ouvrant le pavillon.
|
||
Suzon, es-tu là-dedans ?
|
||
Figaro, bas.
|
||
Il la cherche, et moi je croyais…
|
||
Suzanne, bas.
|
||
Il ne l'a pas reconnue.
|
||
Figaro
|
||
|
||
Le Comtese retourne.
|
||
Un homme aux pieds de la Comtesse !… Ah ! je suis sans armes. (Il s'avance.)
|
||
Figarose relève tout-à-fait en déguisant sa voix.
|
||
Pardon, madame, si je n'ai pas réfléchi que ce rendez-vous ordinaire était destiné pour la noce.
|
||
Le Comte, à part.
|
||
C'est l'homme du cabinet de ce matin. (Il se frappe le front.)
|
||
Figarocontinue.
|
||
Mais il ne sera pas dit qu'un obstacle aussi sot aura retardé nos plaisirs.
|
||
Le Comte, à part.
|
||
Massacre, mort, enfer !
|
||
Figaro, la conduisant au cabinet.
|
||
|
||
Le Comte, à part.
|
||
Ah ! tout se découvre enfin.
|
||
Suzanne, près du pavillon à sa gauche.
|
||
Avant d'entrer, voyez si personne n'a suivi. (Il la baise au front.)
|
||
Le Comtes'écrie.
|
||
Vengeance !
|
||
(Suzanne s'enfuit dans le pavillon où sont entrés Fanchette, Marceline et Chérubin.)
|
||
SCÈNE X
|
||
Le Comte, Figaro.
|
||
(Le Comte saisit le bras de Figaro.)
|
||
Figaro, jouant la frayeur excessive.
|
||
C'est mon maître.
|
||
Le Comtele reconnaît.
|
||
Ah ! scélérat, c'est toi ! Holà ! quelqu'un, quelqu'un !
|
||
SCÈNE XI
|
||
Pédrille, le Comte, Figaro.
|
||
Pédrille, botté.
|
||
Monseigneur, je vous trouve enfin.
|
||
Le Comte
|
||
Bon, c'est Pédrille. Es-tu tout seul ?
|
||
Pédrille
|
||
Arrivant de Séville à étripe-cheval.
|
||
Le Comte
|
||
Approche-toi de moi, et crie bien fort.
|
||
Pédrille, criant à tue-tête.
|
||
Pas plus de page que sur ma main. Voilà le paquet.
|
||
Le Comtele repousse.
|
||
Eh, l'animal !
|
||
Pédrille
|
||
Monseigneur me dit de crier.
|
||
Le Comte, tenant toujours Figaro.
|
||
Pour appeler. – Holà ! quelqu'un ! si l'on m'entend, accourez tous !
|
||
Pédrille
|
||
Figaro et moi, nous voilà deux ; que peut-il donc vous arriver ?
|
||
SCÈNE XII
|
||
Les acteurs précédents, Brid’oison, Bartholo, Bazile, Antonio, Grippe-Soleil, toute la noce accourt avec des flambeaux.
|
||
Bartholo, à Figaro.
|
||
Tu vois qu'à ton premier signal…
|
||
Le Comte, montrant le pavillon à sa gauche.
|
||
Pédrille, empare-toi de cette porte.
|
||
(Pédrille y va.)
|
||
Bazile, bas, à Figaro.
|
||
Tu l'as surpris avec Suzanne ?
|
||
Le Comte, montrant Figaro.
|
||
Et vous, tous mes vassaux, entourez-moi cet homme et m'en répondez sur la vie.
|
||
Bazile
|
||
Ha ! Ha !
|
||
Le Comte, furieux.
|
||
Taisez-vous donc. (À Figaro d'un ton glacé.) Mon cavalier, répondez-vous à mes questions ?
|
||
Figaro, froidement.
|
||
Eh ! qui pourrait m'en exempter, Monseigneur ? Vous commandez à tout ici, hors à vous-même.
|
||
Le Comte, se contenant.
|
||
Hors à moi-même !
|
||
Antonio
|
||
C'est ça parler.
|
||
Le Comtereprend sa colère.
|
||
Non, si quelque chose pouvait augmenter ma fureur ! ce serait l'air calme qu'il affecte !
|
||
Figaro
|
||
Sommes-nous des soldats qui tuent et se font tuer pour des intérêts qu'ils ignorent ? je veux savoir, moi, pourquoi je me fâche.
|
||
Le Comte, hors de lui.
|
||
|
||
Figaro, montrant l'autre avec malice.
|
||
Dans celui-là ?
|
||
Le Comte, vite.
|
||
Dans celui-ci.
|
||
Figaro, froidement.
|
||
C'est différent. Une jeune personne qui m'honore de ses bontés particulières.
|
||
Bazile, étonné.
|
||
Ha, ha !
|
||
Le Comte, vite.
|
||
Vous l'entendez, messieurs.
|
||
Bartholo, étonné.
|
||
Nous l'entendons ?
|
||
Le Comte, à Figaro.
|
||
Et cette jeune personne a-t-elle un autre engagement que vous sachiez ?
|
||
Figaro, froidement.
|
||
Je sais qu'un grand seigneur s'en est occupé quelque temps : mais, soit qu'il l'ait négligée ou que je lui plaise mieux qu'un plus aimable, elle me donne aujourd'hui la préférence.
|
||
Le Comte, vivement.
|
||
La préf… (Se contenant.) Au moins il est naïf ! car ce qu'il avoue, messieurs, je l'ai ouï, je vous jure, de la bouche même de sa complice.
|
||
Brid'oison, stupéfait.
|
||
Sa-a complice !
|
||
Le Comte, avec fureur.
|
||
Or quand le déshonneur est public, il faut que la vengeance le soit aussi.
|
||
(Il entre dans le pavillon.)
|
||
SCÈNE XIII
|
||
Tous les acteurs précédents, hors le Comte.
|
||
Antonio
|
||
C'est juste.
|
||
Brid'oison, à Figaro.
|
||
Qui-i donc a pris la femme de l'autre ?
|
||
Figaro, en riant.
|
||
Aucun n'a eu cette joie-là.
|
||
SCÈNE XIV
|
||
Les acteurs précédents, Le Comte, Chérubin.
|
||
Le Comte, parlant dans le pavillon, et attirant quelqu'un qu'on ne voit pas encore.
|
||
|
||
Figaros'écrie.
|
||
Chérubin !
|
||
Le Comte
|
||
Mon page ?
|
||
Bazile
|
||
Ha ! ha !
|
||
Le Comte, hors de lui.
|
||
(À part.) Et toujours le page endiablé ! (À Chérubin.) Que faisiez-vous dans ce salon ?
|
||
Chérubin, timidement.
|
||
Je me cachais, comme vous l'avez ordonné.
|
||
Pédrille
|
||
Bien la peine de crever un cheval !
|
||
Le Comte
|
||
Entres-y, toi, Antonio ; conduis devant son juge l'infâme qui m'a déshonoré.
|
||
Brid'oison
|
||
C'est Madame que vous y-y cherchez ?
|
||
Antonio
|
||
L'y a, parguenne, une bonne Providence ! Vous en avez fait tant dans le pays…
|
||
Le Comte, furieux.
|
||
Entre donc !
|
||
(Antonio entre.)
|
||
SCÈNE XV
|
||
Les acteurs précédents, excepté Antonio.
|
||
Le Comte
|
||
Vous allez voir, messieurs, que le page n'y était pas seul.
|
||
Chérubin, timidement.
|
||
Mon sort eût été trop cruel, si quelqu'âme sensible n'en eût adouci l'amertume.
|
||
SCÈNE XVI
|
||
Les acteurs précédents, Antonio, Fanchette.
|
||
Antonio, attirant par le bras quelqu'un qu'on ne voit pas encore.
|
||
Allons, madame, il ne faut pas vous faire prier pour en sortir, puisqu'on sait que vous y êtes entrée.
|
||
Figaros'écrie.
|
||
La petite cousine !
|
||
Bazile
|
||
Ha ! ha !
|
||
Le Comte
|
||
Fanchette !
|
||
Antoniose retourne et s'écrie.
|
||
Ah ! palsembleu, Monseigneur, il est gaillard de me choisir pour montrer à la compagnie que c'est ma fille qui cause tout ce train-là !
|
||
Le Comte, outré.
|
||
Qui la savait là-dedans ?
|
||
(Il veut rentrer.)
|
||
Bartholo, au-devant.
|
||
Permettez, Monsieur le Comte, ceci n'est pas plus clair. Je suis de sang-froid, moi.
|
||
(Il entre.)
|
||
Brid'oison
|
||
Voilà une affaire au-aussi trop embrouillée.
|
||
SCÈNE XVII
|
||
Les acteurs précédents, Marceline.
|
||
Bartholo, parlant en dedans, et sortant.
|
||
Ne craignez rien, madame, il ne vous sera fait aucun mal ; j'en réponds. (Il se retourne et s'écrie :) Marceline !…
|
||
Bazile
|
||
Ha, ha !
|
||
Figaro, riant.
|
||
Eh ! quelle folie ! ma mère en est ?
|
||
Antonio
|
||
À qui pis fera.
|
||
Le Comte, outré.
|
||
Que m'importe à moi ? La Comtesse…
|
||
SCÈNE XVIII
|
||
Les acteurs précédents, Suzanne.
|
||
(Suzanne, son éventail sur le visage.)
|
||
Le Comte
|
||
|
||
(Suzanne se jette à genoux, la tête baissée.)
|
||
Le Comte, fort.
|
||
Non, non.
|
||
(Figaro se jette à genoux de l'autre côté.)
|
||
Le Comte, plus fort.
|
||
Non, non.
|
||
(Marceline se jette à genoux devant lui.)
|
||
Le Comte, plus fort.
|
||
Non, non.
|
||
(Tous se mettent à genoux, excepté Brid'oison.)
|
||
Le Comte, hors de lui.
|
||
Y fussiez-vous un cent !
|
||
SCÈNE XIX et dernière
|
||
Tous les acteurs précédents, La Comtesse sort de l'autre pavillon.
|
||
La Comtessese jette à genoux.
|
||
|
||
Le Comte, regardant la Comtesse et Suzanne.
|
||
Ah ! qu'est-ce que je vois !
|
||
Brid'oison, riant.
|
||
Eh pardi, c'è-est Madame.
|
||
Le Comteveut relever la Comtesse.
|
||
Quoi, c'était vous, Comtesse ? (D'un ton suppliant.) Il n'y a qu'un pardon bien généreux…
|
||
La Comtesse, en riant.
|
||
|
||
(Elle se relève.)
|
||
Suzannese relève.
|
||
Moi aussi.
|
||
Marcelinese relève.
|
||
Moi aussi.
|
||
Figarose relève.
|
||
Moi aussi ; il y a de l'écho ici ! (Tous se relèvent.)
|
||
Le Comte
|
||
De l'écho ! – J'ai voulu ruser avec eux ; ils m'ont traité comme un enfant !
|
||
La Comtesse, en riant.
|
||
Ne le regrettez pas, Monsieur le Comte.
|
||
Figaro, s'essuyant les genoux avec son chapeau.
|
||
Une petite journée comme celle-ci forme bien un ambassadeur !
|
||
Le Comte, à Suzanne.
|
||
Ce billet fermé d'une épingle ?…
|
||
Suzanne
|
||
C'est Madame qui l'avait dicté.
|
||
Le Comte
|
||
La réponse lui en est bien due.
|
||
(Il baise la main de la Comtesse.)
|
||
La Comtesse
|
||
Chacun aura ce qui lui appartient.
|
||
(Elle donne la bourse à Figaro et le diamant à Suzanne.)
|
||
Suzanne, à Figaro.
|
||
Encore une dot.
|
||
Figaro, frappant la bourse dans sa main.
|
||
Et de trois. Celle-ci fut rude à arracher !
|
||
Suzanne
|
||
Comme notre mariage.
|
||
Grippe-Soleil
|
||
Et la jarretière de la mariée, l'aurons-je ?
|
||
La Comtessearrache le ruban qu'elle a tant gardé dans son sein, et le jette à terre.
|
||
La jarretière ? Elle était avec ses habits ; la voilà.
|
||
(Les garçons de la noce veulent la ramasser.)
|
||
Chérubin, plus alerte, court la prendre et dit:
|
||
Que celui qui la veut, vienne me la disputer.
|
||
Le Comte, en riant, au page.
|
||
Pour un monsieur si chatouilleux, qu'avez-vous trouvé de gai à certain soufflet de tantôt ?
|
||
Chérubinrecule en tirant à moitié son épée.
|
||
À moi, mon colonel ?
|
||
Figaro, avec une colère comique.
|
||
C'est sur ma joue qu'il l'a reçu : voilà comme les grands font justice !
|
||
Le Comte, riant.
|
||
C'est sur sa joue ? Ha, ha, ha, qu'en dites-vous donc, ma chère Comtesse ?
|
||
La Comtesse, absorbée, revient à elle, et dit avec sensibilité.
|
||
Ah ! oui, cher Comte, et pour la vie, sans distraction, je vous le jure.
|
||
Le Comte, frappant sur l'épaule du juge.
|
||
Et vous, don Brid'oison, votre avis maintenant ?
|
||
Brid'oison
|
||
Su-ur tout ce que je vois, Monsieur le Comte… ma-a foi, pour moi je-e ne sais que vous dire : voilà ma façon de penser.
|
||
Tous ensemble
|
||
Bien jugé !
|
||
Figaro
|
||
J'étais pauvre, on me méprisait. J'ai montré quelque esprit, la haine est accourue. Une jolie femme et de la fortune…
|
||
Bartholo, en riant.
|
||
Les cœurs vont te revenir en foule.
|
||
Figaro
|
||
Est-il possible ?
|
||
Bartholo
|
||
Je les connais.
|
||
Figaro, saluant les spectateurs.
|
||
Ma femme et mon bien mis à part, tous me feront honneur et plaisir.
|
||
On joue la ritournelle du Vaudeville (air noté).
|
||
Vaudeville
|
||
Bazile
|
||
Premier couplet
|
||
Triple dot, femme superbe ;
|
||
Que de biens pour un époux !
|
||
D'un seigneur, d'un page imberbe,
|
||
Quelque sot serait jaloux,
|
||
Du latin d'un vieux proverbe
|
||
L'homme adroit fait son parti.
|
||
Figaro
|
||
Je le sais…
|
||
(Il chante.) Gaudeant bene nati.
|
||
Bazile
|
||
Non…
|
||
(Il chante.) Gaudeat bene nanti.
|
||
Suzanne
|
||
Deuxième couplet
|
||
Qu'un mari sa foi trahisse,
|
||
Il s'en vante, et chacun rit ;
|
||
Que sa femme ait un caprice,
|
||
S'il l'accuse on la punit.
|
||
De cette absurde injustice,
|
||
Faut-il dire le pourquoi ?
|
||
Les plus forts ont fait la loi… bis.
|
||
Figaro
|
||
Troisième couplet
|
||
Jean Jeannot, jaloux risible,
|
||
Veut unir femme et repos ;
|
||
Il achète un chien terrible,
|
||
Et le lâche en son enclos.
|
||
La nuit, quel vacarme horrible !
|
||
Le chien court, tout est mordu,
|
||
Hors l'amant qui l'a vendu… bis.
|
||
La Comtesse
|
||
Quatrième couplet
|
||
Telle est fière et répond d'elle,
|
||
Qui n'aime plus son mari ;
|
||
Telle autre presque infidèle,
|
||
Jure de n'aimer que lui.
|
||
La moins folle, hélas ! est celle
|
||
Qui se veille en son lien,
|
||
Sans oser jurer de rien… bis.
|
||
Le Comte
|
||
Cinquième couplet
|
||
D'une femme de province,
|
||
À qui ses devoirs sont chers,
|
||
Le succès est assez mince ;
|
||
Vive la femme aux bons airs !
|
||
Semblable à l'écu du Prince,
|
||
Sous le coin d'un seul époux,
|
||
Elle sert au bien de tous… bis.
|
||
Marceline
|
||
Sixième couplet
|
||
Chacun sait la tendre mère,
|
||
Dont il a reçu le jour ;
|
||
Tout le reste est un mystère,
|
||
C'est le secret de l'amour.
|
||
Figarocontinue l'air.
|
||
Ce secret met en lumière
|
||
Comment le fils d'un butor
|
||
Vaut souvent son pesant d'or… bis.
|
||
Septième couplet
|
||
Par le sort de la naissance,
|
||
L'un est roi, l'autre est berger ;
|
||
Le hasard fit leur distance ;
|
||
L'esprit seul peut tout changer.
|
||
De vingt rois que l'on encense,
|
||
Le trépas brise l'autel ;
|
||
Et Voltaire est immortel… bis.
|
||
Chérubin
|
||
Huitième couplet
|
||
Sexe aimé, sexe volage,
|
||
Qui tourmentez nos beaux jours,
|
||
Si de vous chacun dit rage,
|
||
Chacun vous revient toujours.
|
||
Le parterre est votre image ;
|
||
Tel paraît le dédaigner,
|
||
Qui fait tout pour le gagner… bis.
|
||
Suzanne
|
||
Neuvième couplet
|
||
Si ce gai, ce fol ouvrage,
|
||
Renfermait quelque leçon,
|
||
En faveur du badinage,
|
||
Faites grâce à la raison.
|
||
Ainsi la nature sage
|
||
Nous conduit, dans nos désir,
|
||
À son but par les plaisirs… bis.
|
||
Brid'oison
|
||
Dixième couplet
|
||
Or, Messieurs, la co-omédie
|
||
Que l'on juge en cè-et instant,
|
||
Sauf erreur, nous pein-eint la vie
|
||
Du bon peuple qui l'entend.
|
||
Qu'on l'opprime, il peste, il crie ;
|
||
Il s'agite en cent fa-açons ;
|
||
Tout fini-it par des chansons… bis.
|
||
BALLET GÉNÉRAL
|
||
Fin du cinquième et dernier acte.
|
||
S'adresser, pour la musique de l'ouvrage, à M. BAUDRON, chef d'orchestre du Théâtre-Français.
|
||
APPROBATIONS |
||
J'ai lu, par ordre de M.Monsieur le Lieutenant de Police, la pièce intitulée : La folle journée, ou Le Mariage de Figaro ; et je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en empêcher l'impression et la représentation. À Paris, ce vingt-huit février mil sept cent quatre-vingt-quatre.
Signé, COQUELEY DE CHAUSSEPIERRE. |
||
J'ai lu, par ordre de M.Monsieur le Lieutenant général de Police, la pièce intitulée : La folle journée, ou Le Mariage de Figaro ; et je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en empêcher la représentation et l'impression. À Paris, ce vingt-un mars mil sept cent quatre-vingt-quatre,
Signé, BRET. |
||
Vu les approbations ; permis d'imprimer et représenter. À Paris, ce vingt-neuf mars mil sept cent quatre-vingt-quatre.
Signé, LENOIR.
|
||
ERRATA (déjà corrigés) |
||
PRÉFACE
|
||
Page
|
||
9, ligne 8, ces fantômes, lisez, ses fantômes.
|
||
10, ligne dernière, n'existe, lisez, existe.
|
||
11, 2, les bons et les mauvais, lisez, bons et mauvais.
|
||
ibid. 24, ces grands coups, lisez, ses grands coups.
|
||
13, 9, de l'œil de bœuf ou des carrosses, lisez, de l'œil-de-bœuf et des Carrosses.
|
||
26, 7, la coquette ou la coquine, lisez, la coquette ou coquine.
|
||
49, 6, espagnole, lisez, espagnol.
|
||
COMÉDIE
|
||
Page
|
||
116, ligne 2, dans lesquels vous mêlerez, lisez, dans lesquels on mêlera.
|
||
175, 94, poursuivions, lisez, poursuivons.
|
||
178, 5, sont rentrés, lisez, sont entrés.
|
||
183, 23, les bois, lisez, le bois.
|