SCÈNE XII
 
 
Grippe-Soleil, Figaro, Marceline, le Comte.
 
 
Grippe-Soleil, à Figaro.
 
 
Et moi, je vas aider à ranger le feu d'artifice sous les grands maronniers, comme on l'a dit.
 
 
Le Comterevient en courant.
 
 
Quel sot a donné un tel ordre ?
 
 
Figaro
 
 
Où est le mal ?
 
 
Le Comte, vivement.
 
 
Et la Comtesse qui est incommodée, d'où le verra-t-elle, l'artifice ? C'est sur la terrasse qu'il le faut, vis-à-vis son appartement.
 
 
Figaro
 
 
Tu l'entends, Grippe-Soleil ? la terrasse.
 
 
Le Comte
 
 
Sous les grands maronniers ! belle idée ! (En s'en allant, à part.) Ils allaient incendier mon rendez-vous !
 
 
SCÈNE XIII
 
 
Figaro, Marceline.
 
 
Figaro
 
 
Quel excès d'attention pour sa femme ! (Il veut sortir.)
 
 
Marcelinel'arrête.
 
 
Deux mots, mon fils. Je veux m'acquitter avec toi : un sentiment mal dirigé m'avait rendue injuste envers ta charmante femme : je la supposais d'accord avec le Comte, quoique j'eusse appris de Bazile qu'elle l'avait toujours rebuté.
 
 
Figaro
 
 
Vous connaissiez mal votre fils, de le croire ébranlé par ces impulsions féminines. Je puis défier la plus rusée de m'en faire accroire.
 
 
Marceline
 
 
Il est toujours heureux de le penser, mon fils ; la jalousie…
 
 
Figaro
 
 
…N'est qu'un sot enfant de l'orgueil, ou c'est la maladie d'un fou. Oh ! j'ai là-dessus, ma mère, une philosophie… imperturbable ; et si Suzanne doit me tromper un jour, je lui pardonne d'avance ; elle aura longtemps travaillé… (Il se retourne et aperçoit Fanchette qui cherche de côté et d'autre.)
 
 
SCÈNE XIV
 
 
Figaro, Fanchette, Marceline.
 
 
Figaro
 
 
Eeeh… ma petite cousine qui nous écoute !
 
 
Fanchette
 
 
Oh ! pour ça, non : on dit que c'est malhonnête.
 
 
Figaro
 
 
Il est vrai ; mais comme cela est utile, on fait aller souvent l'un pour l'autre.
 
 
Fanchette
 
 
Je regardais si quelqu'un était là.
 
 
Figaro
 
 
Déjà dissimulée, friponne ! Vous savez bien qu'il n'y peut être.
 
 
Fanchette
 
 
Et qui donc ?
 
 
Figaro
 
 
Chérubin.
 
 
Fanchette
 
 
Ce n'est pas lui que je cherche, car je sais fort bien où il est ; c'est ma cousine Suzanne.
 
 
Figaro
 
 
Et que lui veut ma petite cousine ?
 
 
Fanchette
 
 
À vous, petit cousin, je le dirai. – C'est… ce n'est qu'une épingle que je veux lui remettre.
 
 
Figaro, vivement.
 
 
Une épingle ! une épingle !… et de quelle part, coquine ? à votre âge, vous faites déjà un mét… (Il se reprend, et dit d'un ton doux.) Vous faites déjà très bien tout ce que vous entreprenez, Fanchette ; et ma jolie cousine est si obligeante…
 
 
Fanchette
 
 
À qui donc en a-t-il de se fâcher ? Je m'en vais.
 
 
Figaro, l'arrêtant.
 
 
Non, non, je badine ; tiens, ta petite épingle est celle que Monseigneur t'a dit de remettre à Suzanne, et qui servait à cacheter un petit papier qu'il tenait ; tu vois que je suis au fait.
 
 
Fanchette
 
 
Pourquoi donc le demander, quand vous le savez si bien ?
 
 
Figaro, cherchant.
 
 
C'est qu'il est assez gai de savoir comment Monseigneur s'y est pris pour t'en donner la commission.
 
 
Fanchette, naïvement.
 
 
Pas autrement que vous ne dites : « Tiens, petite Fanchette, rends cette épingle à ta belle cousine, et dis-lui seulement que c'est le cachet des grands maronniers. »
 
 
Figaro
 
 
« Des grands… » ?
 
 
Fanchette
 
 
« Maronniers. » Il est vrai qu'il a ajouté : « Prends garde que personne ne te voie. »
 
 
Figaro
 
 
Il faut obéir, ma cousine : heureusement personne ne vous a vue. Faites donc joliment votre commission ; et n'en dites pas plus à Suzanne que Monseigneur n'a ordonné.
 
 
Fanchette
 
 
Et pourquoi lui en dirais-je ? il me prend pour un enfant, mon cousin. (Elle sort en sautant.)
 
 
SCÈNE XV
 
 
Figaro, Marceline.
 
 
Figaro
 
 
Eh bien, ma mère ?
 
 
Marceline
 
 
Eh bien, mon fils ?
 
 
Figaro, comme étouffé.
 
 
Pour celui-ci !… il y a réellement des choses…
 
 
Marceline
 
 
« Il y a des choses » ! hé, qu'est-ce qu'il y a ?
 
 
Figaro, les mains sur la poitrine.
 
 
Ce que je viens d'entendre, ma mère, je l'ai là comme un plomb.
 
 
Marceline, riant.
 
 
Ce cœur plein d'assurance n'était donc qu'un ballon gonflé ? une épingle a tout fait partir !
 
 
Figaro, furieux.
 
 
Mais cette épingle, ma mère, est celle qu'il a ramassée !…
 
 
Marceline, rappelant ce qu'il a dit.
 
 
« La jalousie ! oh, j'ai là-dessus, ma mère, une philosophie… imperturbable ; et si Suzanne m'attrape un jour, je le lui pardonne… »
 
 
Figaro, vivement.
 
 
Oh, ma mère ! on parle comme on sent : mettez le plus glacé des juges à plaider dans sa propre cause, et voyez-le expliquer la loi ! – Je ne m'étonne plus s'il avait tant d'humeur sur ce feu ! – Pour la mignonne aux fines épingles, elle n'en est pas où elle le croit, ma mère, avec ses maronniers ! Si mon mariage est assez fait pour légitimer ma colère, en revanche, il ne l'est pas assez pour que je n'en puisse épouser une autre, et l'abandonner…
 
 
Marceline
 
 
Bien conclu ! abîmons tout sur un soupçon. Qui t'a prouvé, dis-moi, que c'est toi qu'elle joue, et non le Comte ? L'as-tu étudiée de nouveau, pour la condamner sans appel ? Sais-tu si elle se rendra sous les arbres, à quelle intention elle y va ? ce qu'elle y dira, ce qu'elle y fera ? Je te croyais plus fort en jugement.
 
 
Figaro, lui baisant la main avec respect.
 
 
Elle a raison, ma mère, elle a raison, raison, toujours raison ! Mais accordons, maman, quelque chose à la nature ; on en vaut mieux après. Examinons en effet, avant d'accuser et d'agir. Je sais où est le rendez-vous. Adieu, ma mère.
 
 
(Il sort.)
 
 
SCÈNE XVI
 
 
Marceline, seule.
 
 
Adieu ; et moi aussi, je le sais. Après l'avoir arrêté, veillons sur les voies de Suzanne ; ou plutôt avertissons-la ; elle est si jolie créature ! Ah ! quand l'intérêt personnel ne nous arme pas les unes contre les autres, nous sommes toutes portées à soutenir notre pauvre sexe opprimé, contre ce fier, ce terrible… (en riant.) et pourtant un peu nigaud de sexe masculin.
 
 
(Elle sort.)
 
 
Fin du quatrième acte.