SCÈNE VII
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Chérubin, le Comte, la Comtesse.
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Le Comte, regardant aller Figaro.
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En voit-on de plus audacieux ? (Au page.) Pour vous, monsieur le sournois, qui faites le honteux, allez vous rhabiller bien vite ; et que je ne vous rencontre nulle part de la soirée.
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La Comtesse
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Il va bien s'ennuyer.
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Chérubin, étourdiment.
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M'ennuyer ! j'emporte à mon front du bonheur pour plus de cent années de prison.
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(Il met son chapeau et s'enfuit.)
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SCÈNE VIII
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Le Comte, la Comtesse.
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(La Comtesse s'évente fortement sans parler.)
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Le Comte
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Qu'a-t-il au front de si heureux ?
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La Comtesse, avec embarras.
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Son… premier chapeau d'officier, sans doute ; aux enfants tout sert de hochet.
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(Elle veut sortir.)
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Le Comte
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Vous ne nous restez pas, Comtesse ?
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La Comtesse
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Vous savez que je ne me porte pas bien.
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Le Comte
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Un instant pour votre protégée, ou je vous croirais en colère.
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La Comtesse
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Le Comte, à part.
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La noce ! il faut souffrir ce qu'on ne peut empêcher.
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(Le Comte et la Comtesse s'assoient vers un des côtés de la galerie.)
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SCÈNE IX
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Le Comte, la Comtesse, assis; l'on joue les «Folies d'espagne» d'un mouvement de marche. (Symphonie notée.)
MARCHE Les gardes-chasse, fusil sur l'épaule. L'alguazil, les prud'hommes, Brid’oison. Les paysans et paysannes, en habits de fête. Deux jeunes filles portant la toque virginale à plumes blanches. Deux autres, le voile blanc. Deux autres, les gants et le bouquet de côté. Antonio donne la main à Suzanne, comme étant celui qui la marie à Figaro. D'autres jeunes filles portent une autre toque, un autre voile, un autre bouquet blanc, semblables aux premiers, pour Marceline. Figaro donne la main à Marceline, comme celui qui doit la remettre au docteur, lequel ferme la marche, un gros bouquet au côté. Les jeunes filles, en passant devant le Comte, remettent à ses valets tous les ajustements destinés à Suzanne et à Marceline. Les Paysans et Paysannes s'étant rangés sur deux colonnes à chaque côté du salon, on danse une reprise du fandango (air noté) avec des castagnettes; puis on joue la ritournelle du duo, pendant laquelle Antonio conduit Suzanne au Comte; elle se met à genoux devant lui. Pendant que le Comte lui pose la toque, le voile, et lui donne le bouquet, deux jeunes filles chantent le duo suivant (air noté). |
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Jeune épouse, chantez les bienfaits et la gloire
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D'un maître qui renonce aux droits qu'il eut sur vous :
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Préférant au plaisir la plus noble victoire,
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Il vous rend chaste et pure aux mains de votre époux.
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Suzanne est à genoux, et, pendant les derniers vers du duo, elle tire le Comte par son manteau et lui montre le billet qu'elle tient; puis elle porte la main qu'elle a du côté des spectateurs à sa tête, où le Comte a l'air d'ajuster sa toque; elle lui donne le billet.
Le Comte le met furtivement dans son sein; on achève de chanter le duo; la fiancée se relève et lui fait une grande révérence. Figaro vient la recevoir des mains du Comte et se retire avec elle, à l'autre côté du salon, près de Marceline. (On danse une autre reprise du fandango, pendant ce temps.) |
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Le Comte, pressé de lire ce qu'il a reçu, s'avance au bord du théâtre et tire le papier de son sein; mais en le sortant il fait le geste d'un homme qui s'est cruellement piqué le doigt; il le secoue, le presse, le suce, et regardant le papier cacheté d'une épingle, il dit:
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Le Comte
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(Pendant qu'il parle, ainsi que Figaro, l'orchestre joue pianissimo.)
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Figaro, qui a tout vu, dit à sa mère et à Suzanne:
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La danse reprend: le Comte qui a lu le billet le retourne; il y voit l'invitation de renvoyer le cachet pour réponse. Il cherche à terre, et retrouve enfin l'épingle qu'il attache à sa manche.
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Figaro, à Suzanne et à Marceline.
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D'un objet aimé tout est cher. Le voilà qui ramasse l'épingle. Ah ! c'est une drôle de tête !
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(Pendant ce temps, Suzanne a des signes d'intelligence avec la Comtesse. La danse finit, la ritournelle du duo recommence.)
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(Figaro conduit Marceline au Comte, ainsi qu'on a conduit Suzanne; à l'instant où le Comte prend la toque et où l'on va chanter le duo, on est interrompu par les cris suivants:)
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L'Huissier, criant à la porte.
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Arrêtez donc, messieurs ! vous ne pouvez entrer tous… Ici les gardes ! les gardes ! (Les gardes vont vite à cette porte.)
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Le Comte, se levant.
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Qu'est-ce qu'il y a ?
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L'Huissier
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Monseigneur, c'est monsieur Bazile, entouré d'un village entier, parce qu'il chante en marchant.
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Le Comte
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Qu'il entre seul.
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La Comtesse
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Ordonnez-moi de me retirer.
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Le Comte
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Je n'oublie pas votre complaisance.
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La Comtesse
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Suzanne !… elle reviendra. (À part, à Suzanne.) Allons changer d'habits. (Elle sort avec Suzanne.)
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Marceline
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Il n'arrive jamais que pour nuire.
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Figaro
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Ah ! je m'en vais vous le faire déchanter !
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SCÈNE X
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Tous les acteurs précédents, excepté la Comtesse et Suzanne; Bazile tenant sa guitare; Grippe-Soleil.
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Bazileentre en chantant sur l'air du vaudeville de la fin (air noté):
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Cœurs sensibles, cœurs fidèles,
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Qui blâmez l'amour léger,
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Cessez vos plaintes cruelles :
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Est-ce un crime de changer ?
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Si l'Amour porte des ailes,
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N'est-ce pas pour voltiger ?
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N'est-ce pas pour voltiger ?
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N'est-ce pas pour voltiger ?
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Figaros'avance à lui.
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Oui, c'est pour cela justement qu'il a des ailes au dos ; notre ami, qu'entendez-vous par cette musique ?
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Bazile, montrant Grippe-Soleil.
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Qu'après avoir prouvé mon obéissance à Monseigneur en amusant monsieur, qui est de sa compagnie, je pourrai, à mon tour, réclamer sa justice.
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Grippe-Soleil
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Bah ! Monsigneu ! il ne m'a pas amusé du tout : avec leux guenilles d'ariettes…
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Le Comte
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Enfin que demandez-vous, Bazile ?
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Bazile
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Ce qui m'appartient, Monseigneur, la main de Marceline ; et je viens m'opposer…
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Figaros'approche.
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Y a-t-il longtemps que monsieur n'a vu la figure d'un fou ?
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Bazile
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Monsieur, en ce moment même.
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Figaro
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Puisque mes yeux vous servent si bien de miroir, étudiez-y l'effet de ma prédiction. Si vous faites mine seulement d'approximer madame…
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Bartholo, en riant.
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Eh pourquoi ? laisse-le parler.
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Brid'oisons'avance entre deux.
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Fau-aut-il que deux amis ?…
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Figaro
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Nous, amis !
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Bazile
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Quelle erreur !
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Figaro, vite.
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Parce qu'il fait de plats airs de chapelle ?
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Bazile, vite.
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Et lui, des vers comme un journal ?
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Figaro, vite.
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Un musicien de guinguette !
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Bazile, vite.
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Un postillon de gazette !
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Figaro, vite.
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Cuistre d'oratorio !
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Bazile, vite.
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Jockey diplomatique !
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Le Comte, assis.
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Insolents tous les deux !
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Bazile
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Il me manque en toute occasion.
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Figaro
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C'est bien dit, si cela se pouvait !
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Bazile
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Disant partout que je ne suis qu'un sot.
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Figaro
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Vous me prenez donc pour un écho ?
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Bazile
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Tandis qu'il n'est pas un chanteur que mon talent n'ait fait briller.
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Figaro
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Brailler.
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Bazile
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Il le répète !
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Figaro
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Et pourquoi non, si cela est vrai ? es-tu un prince, pour qu'on te flagorne ? souffre la vérité, coquin ! puisque tu n'as pas de quoi gratifier un menteur ; ou si tu la crains de notre part, pourquoi viens-tu troubler nos noces ?
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Bazile, à Marceline.
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M'avez-vous promis, oui ou non, si dans quatre ans vous n'étiez pas pourvue, de me donner la préférence ?
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Marceline
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À quelle condition l'ai-je promis ?
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Bazile
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Que si vous retrouviez un certain fils perdu, je l'adopterais par complaisance.
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Tous ensemble
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Il est trouvé.
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Bazile
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Qu'à cela ne tienne !
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Tous ensemble, montrant Figaro.
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Et le voici.
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Bazile, reculant de frayeur.
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J'ai vu le diable !
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Brid'oison, à Bazile.
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Et vou-ous renoncez à sa chère mère !
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Bazile
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Qu'y aurait-il de plus fâcheux que d'être cru le père d'un garnement ?
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Figaro
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D'en être cru le fils ; tu te moques de moi !
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||
Bazile, montrant Figaro.
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Dès que monsieur est de quelque chose ici, je déclare, moi, que je n'y suis plus de rien.
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(Il sort.)
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SCÈNE XI
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Les acteurs précédents, excepté Bazile.
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Bartholo, riant.
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Ha ! ha ! ha ! ha !
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Figaro, sautant de joie.
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Donc à la fin j'aurai ma femme !
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Le Comte, à part.
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Moi, ma maîtresse. (Il se lève.)
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Brid'oison, à Marceline.
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||
Et tou-out le monde est satisfait.
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Le Comte
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Qu'on dresse les deux contrats ; j'y signerai.
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||
Tous ensemble
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Vivat ! (Ils sortent.)
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Le Comte
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J'ai besoin d'une heure de retraite.
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||
(Il veut sortir avec les autres.)
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SCÈNE XII
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Grippe-Soleil, Figaro, Marceline, le Comte.
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Grippe-Soleil, à Figaro.
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Et moi, je vas aider à ranger le feu d'artifice sous les grands maronniers, comme on l'a dit.
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||
Le Comterevient en courant.
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Quel sot a donné un tel ordre ?
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||
Figaro
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||
Où est le mal ?
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Le Comte, vivement.
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Et la Comtesse qui est incommodée, d'où le verra-t-elle, l'artifice ? C'est sur la terrasse qu'il le faut, vis-à-vis son appartement.
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||
Figaro
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||
Tu l'entends, Grippe-Soleil ? la terrasse.
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Le Comte
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Sous les grands maronniers ! belle idée ! (En s'en allant, à part.) Ils allaient incendier mon rendez-vous !
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SCÈNE XIII
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Figaro, Marceline.
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Figaro
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Quel excès d'attention pour sa femme ! (Il veut sortir.)
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||
Marcelinel'arrête.
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Deux mots, mon fils. Je veux m'acquitter avec toi : un sentiment mal dirigé m'avait rendue injuste envers ta charmante femme : je la supposais d'accord avec le Comte, quoique j'eusse appris de Bazile qu'elle l'avait toujours rebuté.
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||
Figaro
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Vous connaissiez mal votre fils, de le croire ébranlé par ces impulsions féminines. Je puis défier la plus rusée de m'en faire accroire.
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Marceline
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Il est toujours heureux de le penser, mon fils ; la jalousie…
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Figaro
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…N'est qu'un sot enfant de l'orgueil, ou c'est la maladie d'un fou. Oh ! j'ai là-dessus, ma mère, une philosophie… imperturbable ; et si Suzanne doit me tromper un jour, je lui pardonne d'avance ; elle aura longtemps travaillé… (Il se retourne et aperçoit Fanchette qui cherche de côté et d'autre.)
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SCÈNE XIV
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Figaro, Fanchette, Marceline.
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Figaro
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Eeeh… ma petite cousine qui nous écoute !
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Fanchette
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Oh ! pour ça, non : on dit que c'est malhonnête.
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Figaro
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Il est vrai ; mais comme cela est utile, on fait aller souvent l'un pour l'autre.
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Fanchette
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||
Je regardais si quelqu'un était là.
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Figaro
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Déjà dissimulée, friponne ! Vous savez bien qu'il n'y peut être.
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||
Fanchette
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Et qui donc ?
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Figaro
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Chérubin.
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Fanchette
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Ce n'est pas lui que je cherche, car je sais fort bien où il est ; c'est ma cousine Suzanne.
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||
Figaro
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Et que lui veut ma petite cousine ?
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||
Fanchette
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||
Figaro, vivement.
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||
Fanchette
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À qui donc en a-t-il de se fâcher ? Je m'en vais.
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||
Figaro, l'arrêtant.
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||
Fanchette
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Pourquoi donc le demander, quand vous le savez si bien ?
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||
Figaro, cherchant.
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Fanchette, naïvement.
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Figaro
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« Des grands… » ?
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Fanchette
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« Maronniers. » Il est vrai qu'il a ajouté : « Prends garde que personne ne te voie. »
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Figaro
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Il faut obéir, ma cousine : heureusement personne ne vous a vue. Faites donc joliment votre commission ; et n'en dites pas plus à Suzanne que Monseigneur n'a ordonné.
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Fanchette
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Et pourquoi lui en dirais-je ? il me prend pour un enfant, mon cousin. (Elle sort en sautant.)
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SCÈNE XV
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Figaro, Marceline.
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Figaro
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Eh bien, ma mère ?
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Marceline
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Eh bien, mon fils ?
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Figaro, comme étouffé.
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Pour celui-ci !… il y a réellement des choses…
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Marceline
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« Il y a des choses » ! hé, qu'est-ce qu'il y a ?
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Figaro, les mains sur la poitrine.
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Ce que je viens d'entendre, ma mère, je l'ai là comme un plomb.
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Marceline, riant.
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Figaro, furieux.
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Marceline, rappelant ce qu'il a dit.
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« La jalousie ! oh, j'ai là-dessus, ma mère, une philosophie… imperturbable ; et si Suzanne m'attrape un jour, je le lui pardonne… »
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Figaro, vivement.
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Oh, ma mère ! on parle comme on sent : mettez le plus glacé des juges à plaider dans sa propre cause, et voyez-le expliquer la loi ! – Je ne m'étonne plus s'il avait tant d'humeur sur ce feu ! – Pour la mignonne aux fines épingles, elle n'en est pas où elle le croit, ma mère, avec ses maronniers ! Si mon mariage est assez fait pour légitimer ma colère, en revanche, il ne l'est pas assez pour que je n'en puisse épouser une autre, et l'abandonner…
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Marceline
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Figaro, lui baisant la main avec respect.
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(Il sort.)
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SCÈNE XVI
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Marceline, seule.
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(Elle sort.)
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Fin du quatrième acte.
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