Kritische Edition der Vorlage von Beaumarchais, Kehl 1785       Diplomatische Übertragung der Vorlage von Beaumarchais, Kehl 1785 
SCÈNE PREMIÈRE
 
SCENE PREMIERE.
Figaro, Suzanne.
 
FIGARO, SUZANNE.
Figaro, la tenant à bras-le-corps.
 
FIGARO, la tenant à bras le corps.
Eh bien ! amour, es-tu contente ? elle a converti son docteur, cette fine langue dorée de ma mère ! malgré sa répugnance il l'épouse, et ton bourru d'oncle est bridé ; il n'y a que Monseigneur qui rage, car enfin notre hymen va devenir le prix du leur. Ris donc un peu de ce bon résultat.
 
bien ! amour, es-tu contente ? elle a converti son
Docteur, cette fine langue dorée de ma mère ! malgré
sa répugnance il l'épouse, et ton bourru d'oncle est bridé ;
il n'y a que Monseigneur qui rage ; car enfin notre hymen
va devenir le prix du leur. Ris donc un peu de ce bon
résultat.
Suzanne
 
SUZANNE.
As-tu rien vu de plus étrange ?
 
As-tu rien vu de plus étrange ?
Figaro
 
FIGARO.
Ou plutôt d'aussi gai. Nous ne voulions qu'une dot arrachée à l'Excellence ; en voilà deux dans nos mains, qui ne sortent pas des siennes. Une rivale acharnée te poursuivait ; j'étais tourmenté par une furie ; tout cela s'est changé, pour nous, dans « la plus bonne » des mères. Hier j'étais comme seul au monde ; et voilà que j'ai tous mes parents ; pas si magnifiques, il est vrai, que je me les étais galonnés ; mais assez bien pour nous, qui n'avons pas la vanité des riches.
 
Ou plutôt d'aussi gai. Nous ne voulions qu'une dot
arrachée à l'Excellence ; en voilà deux dans nos mains
qui ne sortent pas des siennes. Une rivale acharnée te
poursuivait ; j'étais tourmenté par une furie ; tout cela
s'est changé, pour nous, dans la plus bonne des mères.
Hier j'étais comme seul au monde, et voilà que j'ai tous
mes parens, pas si magnifiques, il est vrai, que je me
les étais galonnés ; mais assez bien pour nous, qui n'avons
pas la vanité des riches.
Suzanne
 
FSUZANNE.
Aucune des choses que tu avais disposées, que nous attendions, mon ami, n'est pourtant arrivée !
 
Aucune des choses que tu avais disposées, que nous
attendions, mon ami, n'est pourtant arrivée !
Figaro
 
FIGARO.
Le hasard a mieux fait que nous tous, ma petite : ainsi va le monde ; on travaille, on projette, on arrange d'un côté ; la fortune accomplit de l'autre : et depuis l'affamé conquérant qui voudrait avaler la terre, jusqu'au paisible aveugle qui se laisse mener par son chien, tous sont le jouet de ses caprices ; encore l'aveugle au chien est-il souvent mieux conduit, moins trompé dans ses vues, que l'autre aveugle avec son entourage. – Pour cet aimable aveugle, qu'on nomme Amour… (Il la reprend tendrement à bras-le-corps.)
 
Le hasard a mieux fait que nous tous, ma petite :
ainsi va le monde ; on travaille, on projette, on arrange
d'un côté ; la fortune accomplit de l'autre : et depuis
l'affamé conquérant qui voudrait avaler la terre, jusqu'au
paisible aveugle qui se laisse mener par son chien, tous
sont le jouet de ses caprices ; encore l'aveugle au chien
est-il souvent mieux conduit, moins trompé dans ses
vues, que l'autre aveugle avec son entourage. – Pour
cet aimable aveugle, qu'on nomme Amour… (il la
reprend tendrement à bras le corps.)
Suzanne
 
SUZANNE.
Ah ! c'est le seul qui m'intéresse !
 
Ah ! c'est le seul qui m'intéresse !
Figaro
 
FIGARO.
Permets donc que, prenant l'emploi de la folie, je sois le bon chien qui le mène à ta jolie mignone porte ; et nous voilà logés pour la vie.
 
Permets donc que, prenant l'emploi de la folie, je
sois le bon chien qui le mène à ta jolie mignone porte ;
et nous voilà logés pour la vie.
Suzanne, riant.
 
SUZANNE, riant.
L'Amour et toi ?
 
L'Amour et toi ?
Figaro
 
FIGARO.
Moi et l'Amour.
 
Moi et l'Amour.
Suzanne
 
SUZANNE.
Et vous ne chercherez pas d'autre gîte ?
 
Et vous ne chercherez pas d'autre gîte ?
Figaro
 
FIGARO.
Si tu m'y prends, je veux bien que mille millions de galants…
 
Si tu m'y prends, je veux bien que mille millions
de galans…
Suzanne
 
SUZANNE.
Tu vas exagérer : dis ta bonne vérité.
 
Tu vas exagérer ; dis ta bonne vérité.
Figaro
 
FFIGARO.
Ma vérité la plus vraie !
 
Ma vérité la plus vraie !
Suzanne
 
SUZANNE.
Fi donc, vilain ! en a-t-on plusieurs ?
 
Fi donc, vilain ! en a-t-on plusieurs ?
Figaro
 
FIGARO.
Oh ! que oui. Depuis qu'on a remarqué qu'avec le temps vieilles folies deviennent sagesse, et qu'anciens petits mensonges, assez mal plantés, ont produit de grosses, grosses vérités, on en a de mille espèces ! Et celles qu'on sait, sans oser les divulguer : car toute vérité n'est pas bonne à dire ; et celles qu'on vante, sans y ajouter foi : car toute vérité n'est pas bonne à croire ; et les serments passionnés, les menaces des mères, les protestations des buveurs, les promesses des gens en place, le dernier mot de nos marchands ; cela ne finit pas. Il n'y a que mon amour pour Suzon qui soit une vérité de bon aloi.
 
Oh ! que oui. Depuis qu'on a remarqué qu'avec le
temps vieilles folies deviennent sagesse, et qu'anciens
petits mensonges assez mal plantés ont produit de grosses,
grosses vérités ; on en a de mille espèces : et celles qu'on
sait, sans oser les divulguer ; car toute vérité n'est pas
bonne à dire : et celles qu'on vante, sans y ajouter foi ;
car toute vérité n'est pas bonne à croire : et les sermens
passionnés, les menaces des mères, les protestations des
buveurs, les promesses des gens en place, le dernier mot
de nos marchands ; cela ne finit pas. Il n'y a que mon
amour pour Suzon qui soit une vérité de bon aloi.
Suzanne
 
SUZANNE.
J'aime ta joie, parce qu'elle est folle ; elle annonce que tu es heureux. Parlons du rendez-vous du Comte.
 
J'aime ta joie, parce qu'elle est folle ; elle annonce que
tu es heureux. Parlons du rendez-vous du Comte.
Figaro
 
FIGARO.
Ou plutôt n'en parlons jamais ; il a failli me coûter Suzanne.
 
Ou plutôt n'en parlons jamais ; il a failli me coûter
Suzanne.
Suzanne
 
SUZANNE.
Tu ne veux donc plus qu'il ait lieu ?
 
Tu ne veux donc plus qu'il ait lieu ?
Figaro
 
FIGARO.
Si vous m'aimez, Suzon, votre parole d'honneur sur ce point : qu'il s'y morfonde ; et c'est sa punition.
 
Si vous m'aimez, Suzon ; votre parole d'honneur sur
ce point : qu'il s'y morfonde ; et c'est sa punition.
Suzanne
 
SUZANNE.
Il m'en a plus coûté de l'accorder que je n'ai de peine à le rompre ; il n'en sera plus question.
 
Il m'en a plus coûté de l'accorder, que je n'ai de
peine à le rompre : il n'en sera plus question.
Figaro
 
FFIGARO.
Ta bonne vérité ?
 
Ta bonne vérité ?
Suzanne
 
SUZANNE.
Je ne suis pas comme vous autres savants ; moi, je n'en ai qu'une.
 
Je ne suis pas comme vous autres savans ; moi, je n'en
ai qu'une.
Figaro
 
FIGARO.
Et tu m'aimeras un peu ?
 
Et tu m'aimeras un peu ?
Suzanne
 
SUZANNE.
Beaucoup.
 
Beaucoup.
Figaro
 
FIGARO.
Ce n'est guère.
 
Ce n'est guère.
Suzanne
 
SUZANNE.
Et comment ?
 
Et comment ?
Figaro
 
FIGARO.
En fait d'amour, vois-tu, trop n'est pas même assez.
 
En fait d'amour, vois-tu, trop n'est pas même assez.
Suzanne
 
SUZANNE.
Je n'entends pas toutes ces finesses ; mais je n'aimerai que mon mari.
 
Je n'entends pas toutes ces finesses ; mais je n'aimerai
que mon mari.
Figaro
 
FIGARO.
Tiens parole, et tu feras une belle exception à l'usage. (Il veut l'embrasser.)
 
Tiens parole, et tu feras une belle exception à
l'usage. (il veut l'embrasser.)
SCÈNE II
 
SCENE II.
Figaro, Suzanne, la Comtesse.
 
FIGARO, SUZANNE, LA COMTESSE.
La Comtesse
 
LA COMTESSE.
Ah ! j'avais raison de le dire : en quelque endroit qu'ils soient, croyez qu'ils sont ensemble. Allons donc, Figaro, c'est voler l'avenir, le mariage et vous-même, que d'usurper un tête-à-tête. On vous attend, on s'impatiente.
 
Ah ! j'avais raison de le dire ; en quelque endroit
qu'ils soient, croyez qu'ils sont ensemble. Allons donc,
Figaro, c'est voler l'avenir, le mariage et vous-même,
que d'usurper un tête à tête. On vous attend, on
s'impatiente.
Figaro
 
FFIGARO.
Il est vrai, madame, je m'oublie. Je vais leur montrer mon excuse.
 
Il est vrai, Madame, je m'oublie. Je vais leur mon-
trer mon excuse.
(Il veut emmener Suzanne.)
 
(Il veut emmener Suzanne.)
La Comtessela retient.
 
LA COMTESSE la retient.
Elle vous suit.
 
Elle vous suit.
SCÈNE III
 
SCENE III.
Suzanne, la Comtesse.
 
SUZANNE, LA COMTESSE.
La Comtesse
 
LA COMTESSE.
As-tu ce qu'il nous faut pour troquer de vêtement ?
 
As-tu ce qu'il nous faut pour troquer de vêtement ?
Suzanne
 
SUZANNE.
Il ne faut rien, madame ; le rendez-vous ne tiendra pas.
 
Il ne faut rien, Madame ; le rendez-vous ne tiendra
pas.
La Comtesse
 
LA COMTESSE.
Ah ! vous changez d'avis ?
 
Ah ! vous changez d'avis ?
Suzanne
 
SUZANNE.
C'est Figaro.
 
C'est Figaro.
La Comtesse
 
LA COMTESSE.
Vous me trompez.
 
Vous me trompez.
Suzanne
 
SUZANNE.
Bonté divine !
 
Bonté divine !
La Comtesse
 
LA COMTESSE.
Figaro n'est pas homme à laisser échapper une dot.
 
Figaro n'est pas homme à laisser échapper une dot.
Suzanne
 
SUZANNE.
Madame ! eh ! que croyez-vous donc ?
 
Madame ! eh ! que croyez-vous donc ?
La Comtesse
 
FLA COMTESSE.
Qu'enfin, d'accord avec le Comte, il vous fâche à présent de m'avoir confié ses projets. Je vous sais par cœur. Laissez-moi. (Elle veut sortir.)
 
Qu'enfin, d'accord avec le Comte, il vous fâche à
présent de m'avoir confié ses projets. Je vous sais
par cœur. Laissez-moi. (elle veut sortir.)
Suzannese jette à genoux.
 
SUZANNE se jette à genoux.
Au nom du Ciel, espoir de tous ! vous ne savez pas, madame, le mal que vous faites à Suzanne ! après vos bontés continuelles et la dot que vous me donnez !…
 
Au nom du Ciel espoir de tous ! vous ne savez pas,
Madame, le mal que vous faites à Suzanne ! après vos
bontés continuelles et la dot que vous me donnez !…
La Comtessela relève.
 
LA COMTESSE la relève.
Eh mais… je ne sais ce que je dis ! En me cédant ta place au jardin, tu n'y vas pas, mon cœur ; tu tiens parole à ton mari ; tu m'aides à ramener le mien.
 
Hé mais… je ne sais ce que je dis ! en me cédant
ta place au jardin, tu n'y vas pas, mon cœur ; tu tiens
parole à ton mari ; tu m'aides à ramener le mien.
Suzanne
 
SUZANNE.
Comme vous m'avez affligée !
 
Comme vous m'avez affligée !
La Comtesse
 
LA COMTESSE.
C'est que je ne suis qu'une étourdie. (Elle la baise au front.) Où est ton rendez-vous ?
 
C'est que je ne suis qu'une étourdie. (elle la baise au
front)
Où est ton rendez-vous ?
Suzannelui baise la main.
 
SUZANNE lui baise la main.
Le mot de jardin m'a seul frappée.
 
Le mot de jardin m'a seul frappée.
La Comtesse, montrant la table.
 
LA COMTESSE, montrant la table.
Prends cette plume, et fixons un endroit.
 
Prends cette plume, et fixons un endroit.
Suzanne
 
SUZANNE.
Lui écrire !
 
Lui écrire !
La Comtesse
 
LA COMTESSE.
Il le faut.
 
Il le faut.
Suzanne
 
SUZANNE.
Madame ! au moins, c'est vous…
 
Madame ! au moins, c'est vous…
La Comtesse
 
FLA COMTESSE.
Je mets tout sur mon compte. (Suzanne s'assied, la Comtesse dicte.)
 
Je mets tout sur mon compte. (Suzanne s'assied ;
la Comtesse dicte.)
« Chanson nouvelle, sur l'air :… Qu'il fera beau ce soir sous les grands maronniers !… Qu'il fera beau, ce soir… »
 
Chanson nouvelle, sur l'air :… Qu'il fera beau ce soir
sous les grands maronniers !… Qu'il fera beau ce soir…
Suzanneécrit.
 
SUZANNE écrit.
« Sous les grands maronniers !… » Après ?
 
Sous les grands maronniers !… après ?
La Comtesse
 
LA COMTESSE.
Crains-tu qu'il ne t'entende pas ?
 
Crains-tu qu'il ne t'entende pas ?
Suzannerelit.
 
SUZANNE relit.
C'est juste. (Elle plie le billet.) Avec quoi cacheter ?
 
C'est juste. (elle plie le billet) Avec quoi cacheter ?
La Comtesse
 
LA COMTESSE.
Une épingle, dépêche : elle servira de réponse. Écris sur le revers : « Renvoyez-moi le cachet ».
 
Une épingle, dépêche ; elle servira de réponse. Ecris
sur le revers : renvoyez-moi le cachet.
Suzanneécrit en riant.
 
SUZANNE écrit en riant.
Ah !… « le cachet »… Celui-ci, madame, est plus gai que celui du brevet.
 
Ah !… le cachet… celui-ci, Madame, est plus
gai que celui du brevet.
La Comtesse, avec un souvenir douloureux.
 
LA COMTESSE, avec un souvenir douloureux.
Ah !
 
Ah !
Suzannecherche sur elle.
 
SUZANNE cherche sur elle.
Je n'ai pas d'épingle à présent !
 
Je n'ai pas d'épingle à présent !
La Comtessedétache sa lévite.
 
LA COMTESSE détache sa lévite.
Prends celle-ci. (Le ruban du page tombe de son sein à terre.) Ah ! mon ruban !
 
Prends celle-ci. (le ruban du Page tombe de son sein à
terre)
Ah ! mon ruban !
Suzannele ramasse.
 
SUZANNE le ramasse.
C'est celui du petit voleur ! vous avez eu la cruauté ?…
 
C'est celui du petit voleur ! vous avez eu la cruauté !…
La Comtesse
 
LA COMTESSE.
Fallait-il le laisser à son bras ? c'eût été joli ! Donnez donc !
 
Fallait-il le laisser à son bras ? c'eût été joli ! donnez
donc.
Suzanne
 
FSUZANNE.
Madame ne le portera plus, taché du sang de ce jeune homme.
 
Madame ne le portera plus, taché du sang de ce
jeune homme.
La Comtessele reprend.
 
LA COMTESSE le reprend.
Excellent pour Fanchette… Le premier bouquet qu'elle m'apportera.
 
Excellent pour Fanchette… le premier bouquet
qu'elle m'apportera.
SCÈNE IV
 
SCENE IV.
Une jeune Bergère, Chérubin en fille, Fanchette, et beaucoup de jeunes filles habillées comme elle et tenant des bouquets. La Comtesse, Suzanne.
 
UNE JEUNE BERGERE, CHERUBIN en fille;
FANCHETTE, et beaucoup de jeunes filles habillées
comme elle et tenant des bouquets.

LA COMTESSE, SUZANNE.
Fanchette
 
FANCHETTE.
Madame, ce sont les filles du bourg qui viennent vous présenter des fleurs.
 
Madame, ce sont les filles du bourg qui viennent
vous présenter des fleurs.
La Comtesse, serrant vite son ruban.
 
LA COMTESSE serrant vîte son ruban.
Elles sont charmantes : je me reproche, mes belles petites, de ne pas vous connaître toutes. (Montrant Chérubin.) Quelle est cette aimable enfant qui a l'air si modeste ?
 
Elles sont charmantes : je me reproche, mes belles
petites, de ne pas vous connaître toutes. (montrant
Chérubin)
Quelle est cette aimable enfant qui a l'air si
modeste ?
Une Bergère
 
UNE BERGERE.
C'est une cousine à moi, madame, qui n'est ici que pour la noce.
 
C'est une cousine à moi, Madame, qui n'est ici que
pour la noce.
La Comtesse
 
LA COMTESSE.
Elle est jolie. Ne pouvant porter vingt bouquets, faisons honneur à l'étrangère. (Elle prend le bouquet de Chérubin et le baise au front.) Elle en rougit ! (À Suzanne.) Ne trouves-tu pas, Suzon… qu'elle ressemble à quelqu'un ?
 
Elle est jolie. Ne pouvant porter vingt bouquets,
fesons honneur à l'étrangère. (elle prend le bouquet de
Chérubin, et le baise au front)
Elle en rougit ! (à Suzanne)
Ne trouves-tu pas, Suzon… qu'elle ressemble à
quelqu'un ?
Suzanne
 
FSUZANNE.
À s'y méprendre, en vérité.
 
A s'y méprendre, en vérité.
Chérubin, à part, les mains sur son cœur.
 
CHERUBIN, à part, les mains sur son cœur.
Ah ! Ce baiser-là m'a été bien loin !
 
Ah ! ce baiser-là m'a été bien loin !
SCÈNE V
 
SCENE V.
Les jeunes filles, Chérubin au milieu d'elles, Fanchette, Antonio, le Comte, la Comtesse, Suzanne.
 
LES JEUNES FILLES, CHERUBIN au milieu
d'elles
, FANCHETTE, ANTONIO, LE COMTE,
LA COMTESSE, SUZANNE.
Antonio
 
ANTONIO.
Moi je vous dis, Monseigneur, qu'il y est ; elles l'ont habillé chez ma fille ; toutes ses hardes y sont encore, et voilà son chapeau d'ordonnance que j'ai retiré du paquet. (Il s'avance, et regardant toutes les filles, il reconnaît Chérubin, lui enlève son bonnet de femme, ce qui fait retomber ses longs cheveux en cadenette. Il lui met sur la tête le chapeau d'ordonnance et dit :.) Eh ! parguenne, v'là notre officier.
 
Moi je vous dis, Monseigneur, qu'il y est ; elles
l'ont habillé chez ma fille ; toutes ses hardes y sont
encore, et voilà son chapeau d'ordonnance que j'ai
retiré du paquet. (il s'avance, et regardant toutes les filles
il reconnaît Chérubin, lui enlève son bonnet de femme, ce qui
fait retomber ses longs cheveux en cadenette ; il lui met sur la
tête le chapeau d'ordonnance, et dit :)
Eh ! parguenne, v'là
notre officier.
La Comtesserecule.
 
LA COMTESSE recule.
Ah ! Ciel !
 
Ah ! Ciel !
Suzanne
 
SUZANNE.
Ce friponneau !
 
Ce friponneau !
Antonio
 
ANTONIO.
Quand je disais là-haut que c'était lui !…
 
Quand je disais là-haut que c'était lui !…
Le Comte, en colère.
 
LE COMTE, en colère.
Eh bien, madame !
 
Hé bien, Madame !
La Comtesse
 
LA COMTESSE.
Eh bien, monsieur ! vous me voyez plus surprise que vous, et, pour le moins, aussi fâchée.
 
Hé bien, Monsieur ! vous me voyez plus surprise
que vous, et, pour le moins, aussi fâchée.
Le Comte
 
FLE COMTE.
Oui ; mais tantôt, ce matin ?
 
Oui ; mais tantôt, ce matin ?
La Comtesse
 
LA COMTESSE.
Je serais coupable en effet, si je dissimulais encore. Il était descendu chez moi. Nous entamions le badinage que ces enfants viennent d'achever ; vous nous avez surprises l'habillant ; votre premier mouvement est si vif ! il s'est sauvé, je me suis troublée, l'effroi général a fait le reste.
 
Je serais coupable, en effet, si je dissimulais encore.
Il était descendu chez moi. Nous entamions le badinage
que ces enfans viennent d'achever ; vous nous avez sur-
prises l'habillant ; votre premier mouvement est si vif !
il s'est sauvé, je me suis troublée ; l'effroi général a fait
le reste.
Le Comte, avec dépit, à Chérubin.
 
LE COMTE, avec dépit, à Chérubin.
Pourquoi n'êtes-vous pas parti ?
 
Pourquoi n'êtes-vous pas parti ?
Chérubin, ôtant son chapeau brusquement.
 
CHERUBIN ôtant son chapeau brusquement.
Monseigneur…
 
Monseigneur…
Le Comte
 
LE COMTE.
Je punirai ta désobéissance.
 
Je punirai ta désobéissance.
Fanchette, étourdiment.
 
FANCHETTE étourdiment.
Ah ! Monseigneur, entendez-moi ! Toutes les fois que vous venez m'embrasser, vous savez bien que vous dites toujours : « Si tu veux m'aimer, petite Fanchette, je te donnerai ce que tu voudras. »
 
Ah ! Monseigneur, entendez-moi. Toutes les fois que
vous venez m'embrasser, vous savez bien que vous dites
toujours : Si tu veux m'aimer, petite Fanchette, je te donnerai
ce que tu voudras
.
Le Comte, rougissant.
 
LE COMTE, rougissant.
Moi ! j'ai dit cela ?
 
Moi ! j'ai dit cela ?
Fanchette
 
FANCHETTE.
Oui, Monseigneur. Au lieu de punir Chérubin, donnez-le-moi en mariage, et je vous aimerai à la folie.
 
Oui, Monseigneur. Au lieu de punir Chérubin,
donnez-le-moi en mariage, et je vous aimerai à la
folie.
Le Comte, à part.
 
LE COMTE, à part.
Être ensorcelé par un page !
 
Etre ensorcelé par un page !
La Comtesse
 
FLA COMTESSE.
Eh bien ! monsieur, à votre tour ; l'aveu de cette enfant, aussi naïf que le mien, atteste enfin deux vérités : que c'est toujours sans le vouloir si je vous cause des inquiétudes, pendant que vous épuisez tout pour augmenter et justifier les miennes.
 
Hé bien ! Monsieur, à votre tour ; l'aveu de cette
enfant, aussi naïf que le mien, atteste enfin deux vérités :
que c'est toujours sans le vouloir, si je vous cause des
inquiétudes, pendant que vous épuisez tout, pour
augmenter et justifier les miennes.
Antonio
 
ANTONIO.
Vous aussi, Monseigneur ? Dame ! je vous la redresserai comme feue sa mère, qui est morte… Ce n'est pas pour la conséquence ; mais c'est que Madame sait bien que les petites filles, quand elles sont grandes…
 
Vous aussi, Monseigneur ? Dame ! je vous la redres-
serai comme feue sa mère, qui est morte… Ce n'est
pas pour la conséquence ; mais c'est que Madame sait
bien que les petites filles, quand elles sont grandes…
Le Comte, déconcerté, à part.
 
LE COMTE déconcerté, à part.
Il y a un mauvais génie qui tourne tout ici contre moi !
 
Il y a un mauvais génie qui tourne tout ici contre
moi !
SCÈNE VI
 
SCENE VI.
Les jeunes filles, Chérubin, Antonio, Figaro, le Comte, la Comtesse, Suzanne.
 
LES JEUNES FILLES, CHERUBIN,
ANTONIO, FIGARO, LE COMTE,
LA COMTESSE, SUZANNE.
Figaro
 
FIGARO.
Monseigneur, si vous retenez nos filles, on ne pourra commencer ni la fête ni la danse.
 
Monseigneur, si vous retenez nos filles, on ne
pourra commencer ni la fête ni la danse.
Le Comte
 
LE COMTE.
Vous, danser ! vous n'y pensez pas. Après votre chute de ce matin, qui vous a foulé le pied droit !
 
Vous, danser ! vous n'y pensez pas. Après votre chûte
de ce matin, qui vous a foulé le pied droit !
Figaro, remuant la jambe.
 
FIGARO, remuant la jambe.
Je souffre encore un peu ; ce n'est rien. (Aux jeunes filles.) Allons, mes belles, allons !
 
Je souffre encore un peu ; ce n'est rien. (aux jeunes
filles)
Allons, mes belles, allons.
Le Comtele retourne.
 
FLE COMTE le retourne.
Vous avez été fort heureux que ces couches ne fussent que du terreau bien doux !
 
Vous avez été fort heureux que ces couches ne fussent
que du terreau bien doux !
Figaro
 
FIGARO.
Très heureux, sans doute ; autrement…
 
Très-heureux, sans doute ; autrement…
Antoniole retourne.
 
ANTONIO le retourne.
Puis il s'est pelotonné en tombant jusqu'en bas.
 
Puis il s'est pelotonné en tombant jusqu'en bas.
Figaro
 
FIGARO.
Un plus adroit, n'est-ce pas, serait resté en l'air ! (Aux jeunes filles.) Venez-vous, mesdemoiselles ?
 
Un plus adroit, n'est-ce pas, serait resté en l'air !
(aux jeunes filles) Venez-vous, Mesdemoiselles ?
Antoniole retourne.
 
ANTONIO le retourne.
Et pendant ce temps, le petit page galopait sur son cheval à Séville ?
 
Et pendant ce temps le petit Page galopait sur son
cheval à Séville ?
Figaro
 
FIGARO.
Galopait ou marchait au pas…
 
Galopait, ou marchait au pas…
Le Comtele retourne.
 
LE COMTE le retourne.
Et vous aviez son brevet dans la poche ?
 
Et vous aviez son brevet dans la poche ?
Figaro, un peu étonné.
 
FIGARO un peu étonné.
Assurément, mais quelle enquête ? (Aux jeunes filles.) Allons donc, jeunes filles !
 
Assurément ; mais quelle enquête ? (aux jeunes filles)
Allons donc, jeunes filles !
Antonio, attirant Chérubin par le bras.
 
ANTONIO, attirant Chérubin par le bras.
En voici une qui prétend que mon neveu futur n'est qu'un menteur.
 
En voici une qui prétend que mon neveu futur n'est
qu'un menteur.
Figaro, surpris.
 
FIGARO surpris.
Chérubin !… (À part.) Peste du petit fat !
 
Chérubin !… (à part) peste du petit fat !
Antonio
 
ANTONIO.
Y es-tu maintenant ?
 
Y es-tu maintenant ?
Figaro, cherchant.
 
FIGARO, cherchant.
J'y suis… j'y suis… Eh ! qu'est-ce qu'il chante ?
 
J'y suis… j'y suis… Hé ! qu'est-ce qu'il chante ?
Le Comte, sèchement.
 
FLE COMTE sèchement.
Il ne chante pas ; il dit que c'est lui qui a sauté sur les giroflées.
 
Il ne chante pas ; il dit que c'est lui qui a sauté sur
les giroflées.
Figaro, rêvant.
 
FIGARO, rêvant.
Ah ! s'il le dit… cela se peut ; je ne dispute pas de ce que j'ignore.
 
Ah ! s'il le dit… cela se peut ; je ne dispute pas de
ce que j'ignore.
Le Comte
 
LE COMTE.
Ainsi vous et lui ?…
 
Ainsi vous et lui ?…
Figaro
 
FIGARO.
Pourquoi non ? la rage de sauter peut gagner : voyez les moutons de Panurge ; et quand vous êtes en colère, il n'y a personne qui n'aime mieux risquer…
 
Pourquoi non ? la rage de sauter peut gagner : voyez
les moutons de Panurge ; et quand vous êtes en colère,
il n'y a personne qui n'aime mieux risquer…
Le Comte
 
LE COMTE.
Comment, deux à la fois !…
 
Comment, deux à la fois !…
Figaro
 
FIGARO.
On aurait sauté deux douzaines ; et qu'est-ce que cela fait, Monseigneur, dès qu'il n'y a personne de blessé ? (Aux jeunes filles.) Ah ça, voulez-vous venir, ou non ?
 
On aurait sauté deux douzaines ; et qu'est-ce que
cela fait, Monseigneur, dès qu'il n'y a personne de
blessé ? (aux jeunes filles) Ah ça, voulez-vous venir, ou
non ?
Le Comte, outré.
 
LE COMTE outré.
Jouons-nous une comédie ? (On entend un prélude de fanfare.)
 
Jouons-nous une comédie ? (on entend un prélude de
fanfare.)
Figaro
 
FIGARO.
Voilà le signal de la marche. À vos postes, les belles, à vos postes. Allons, Suzanne, donne-moi le bras. (Tous s'enfuient, Chérubin reste seul la tête baissée.)
 
Voilà le signal de la marche. A vos postes, les belles,
à vos postes. Allons, Suzanne, donne-moi le bras.
(Tous s'enfuient, Chérubin reste seul la tête baissée.)
SCÈNE VII
 
FSCENE VII.
Chérubin, le Comte, la Comtesse.
 
CHERUBIN, LE COMTE, LA COMTESSE.
Le Comte, regardant aller Figaro.
 
LE COMTE, regardant aller Figaro.
En voit-on de plus audacieux ? (Au page.) Pour vous, monsieur le sournois, qui faites le honteux, allez vous rhabiller bien vite ; et que je ne vous rencontre nulle part de la soirée.
 
En voit-on de plus audacieux ? (au Page) Pour
vous, monsieur le sournois, qui faites le honteux, allez
vous r'habiller bien vîte ; et que je ne vous rencontre
nulle part de la soirée.
La Comtesse
 
LA COMTESSE.
Il va bien s'ennuyer.
 
Il va bien s'ennuyer.
Chérubin, étourdiment.
 
CHERUBIN étourdiment.
M'ennuyer ! j'emporte à mon front du bonheur pour plus de cent années de prison.
 
M'ennuyer ! j'emporte à mon front du bonheur pour
plus de cent années de prison.
(Il met son chapeau et s'enfuit.)
 
(Il met son chapeau et s'enfuit.)
SCÈNE VIII
 
FSCENE VIII.
Le Comte, la Comtesse.
 
LE COMTE, LA COMTESSE.
(La Comtesse s'évente fortement sans parler.)
 
(La Comtesse s'évente fortement, sans parler.)
Le Comte
 
LE COMTE.
Qu'a-t-il au front de si heureux ?
 
Qu'a-t-il au front de si heureux ?
La Comtesse, avec embarras.
 
LA COMTESSE, avec embarras.
Son… premier chapeau d'officier, sans doute ; aux enfants tout sert de hochet.
 
Son… premier chapeau d'officier, sans doute ; aux
enfans tout sert de hochet.
(Elle veut sortir.)
 
(Elle veut sortir.)
Le Comte
 
LE COMTE.
Vous ne nous restez pas, Comtesse ?
 
Vous ne nous restez pas, Comtesse ?
La Comtesse
 
LA COMTESSE.
Vous savez que je ne me porte pas bien.
 
Vous savez que je ne me porte pas bien.
Le Comte
 
LE COMTE.
Un instant pour votre protégée, ou je vous croirais en colère.
 
Un instant pour votre protégée, ou je vous croirais
en colère.
La Comtesse
 
LA COMTESSE.
Voici les deux noces, asseyons-nous donc pour les recevoir.
 
Voici les deux noces, asseyons-nous donc pour les
recevoir.
Le Comte, à part.
 
LE COMTE, à part.
La noce ! il faut souffrir ce qu'on ne peut empêcher.
 
La noce ! il faut souffrir ce qu'on ne peut empêcher.
(Le Comte et la Comtesse s'assoient vers un des côtés de la galerie.)
 
(Le Comte et la Comtesse s'asseyent vers un des côtés
de la galerie.)
SCÈNE IX
 
FSCENE IX.
Le Comte, la Comtesse, assis; l'on joue les «Folies d'espagne» d'un mouvement de marche. (Symphonie notée.)

MARCHE
Les gardes-chasse, fusil sur l'épaule.
L'alguazil, les prud'hommes, Brid’oison.
Les paysans et paysannes, en habits de fête.
Deux jeunes filles portant la toque virginale à plumes blanches.
Deux autres, le voile blanc.
Deux autres, les gants et le bouquet de côté.
Antonio donne la main à Suzanne, comme étant celui qui la marie à Figaro.
D'autres jeunes filles portent une autre toque, un autre voile, un autre bouquet blanc, semblables aux premiers, pour Marceline.
Figaro donne la main à Marceline, comme celui qui doit la remettre au docteur, lequel ferme la marche, un gros bouquet au côté. Les jeunes filles, en passant devant le Comte, remettent à ses valets tous les ajustements destinés à Suzanne et à Marceline.
Les Paysans et Paysannes s'étant rangés sur deux colonnes à chaque côté du salon, on danse une reprise du fandango (air noté) avec des castagnettes; puis on joue la ritournelle du duo, pendant laquelle
Antonio conduit Suzanne au Comte; elle se met à genoux devant lui.
Pendant que le Comte lui pose la toque, le voile, et lui donne le bouquet, deux jeunes filles chantent le duo suivant (air noté).
 
LE COMTE, LA COMTESSE, assis;
l'on joue les folies d'Espagne d'un mouvement de marche
.
(Symphonie notée.)

MARCHE.
LES GARDES-CHASSE, fusil sur l'épaule.
L'ALGUAZIL, LES PRUD'HOMMES, BRID'OISON.
LES PAYSANS ET PAYSANNES, en habits de fête.
DEUX JEUNES FILLES portant la toque virginale, à
plumes blanches
.
DEUX AUTRES, le voile blanc.
DEUX AUTRES, les gants et le bouquet de côté.
ANTONIO donne la main à SUZANNE, comme étant
celui qui la marie à
FIGARO.
D'AUTRES JEUNES FILLES portent une autre toque,
un autre voile, un autre bouquet blanc, semblables aux
premiers, pour
MARCELINE.
FIGARO donne la main à MARCELINE, comme celui
qui doit la remettre au
DOCTEUR, lequel ferme la marche,
un gros bouquet au côté. Les jeunes filles, en passant devant
le Comte, remettent à ses valets tous les ajustemens destinés
à
SUZANNE et à MARCELINE.
LES PAYSANS ET PAYSANNES s'étant rangés sur deux
colonnes à chaque côté du sallon, on danse une reprise du
fendango
(air noté) avec des castagnettes; puis on joue
la ritournelle du
duo, pendant laquelle ANTONIO
conduit SUZANNE au COMTE; elle se met à genoux
devant lui.

F
Pendant que le Comte lui pose la toque, le voile, et lui donne
le bouquet, deux jeunes filles chantent le
duo suivant.
 
(Air noté.)
    Jeune épouse, chantez les bienfaits et la gloire
 
    Jeune épouse, chantez les bienfaits et la gloire
D'un maître qui renonce aux droits qu'il eut sur vous :
 
D'un maître qui renonce aux droits qu'il eut sur vous :
Préférant au plaisir la plus noble victoire,
 
Préférant au plaisir la plus noble victoire,
Il vous rend chaste et pure aux mains de votre époux.
 
Il vous rend chaste et pure aux mains de votre époux.
Suzanne est à genoux, et, pendant les derniers vers du duo, elle tire le Comte par son manteau et lui montre le billet qu'elle tient; puis elle porte la main qu'elle a du côté des spectateurs à sa tête, où le Comte a l'air d'ajuster sa toque; elle lui donne le billet.
Le Comte le met furtivement dans son sein; on achève de chanter le duo; la fiancée se relève et lui fait une grande révérence.
Figaro vient la recevoir des mains du Comte et se retire avec elle, à l'autre côté du salon, près de Marceline.
(On danse une autre reprise du fandango, pendant ce temps.)
 
SUZANNE est à genoux, et pendant les derniers vers du duo,
elle tire le Comte par son manteau et lui montre le billet
qu'elle tient; puis elle porte la main qu'elle a du côté des
spectateurs à sa tête, où le Comte a l'air d'ajuster sa toque;
elle lui donne le billet.

LE COMTE le met furtivement dans son sein; on achève de
chanter le
duo; la fiancée se relève, et lui fait une grande
révérence.

FIGARO vient la recevoir des mains du Comte et se retire avec
elle, à l'autre côté du sallon, près de Marceline.

(On danse une autre reprise du fendango pendant ce temps.)
Le Comte, pressé de lire ce qu'il a reçu, s'avance au bord du théâtre et tire le papier de son sein; mais en le sortant il fait le geste d'un homme qui s'est cruellement piqué le doigt; il le secoue, le presse, le suce, et regardant le papier cacheté d'une épingle, il dit:
 
LE COMTE, pressé de lire ce qu'il a reçu, s'avance au bord
du théâtre et tire le papier de son sein; mais en le sortant
il fait le geste d'un homme qui s'est cruellement piqué le
doigt; il le secoue, le presse, le suce, et regardant le papier
cacheté d'une épingle, il dit:
Le Comte
 
LE COMTE.
(Pendant qu'il parle, ainsi que Figaro, l'orchestre joue pianissimo.)
 
(Pendant qu'il parle, ainsi que Figaro, l'orchestre joue
pianissimo.)
Diantre soit des femmes, qui fourrent des épingles partout ! (Il la jette à terre, puis il lit le billet et le baise.)
 
Diantre soit des femmes, qui fourent des épingles
par-tout ! (il la jette à terre, puis il lit le billet et le baise.)
Figaro, qui a tout vu, dit à sa mère et à Suzanne:
 
FIGARO, qui a tout vu, dit à sa mère et à Suzanne:
C'est un billet doux, qu'une fillette aura glissé dans sa main en passant. Il était cacheté d'une épingle, qui l'a outrageusement piqué.
 
C'est un billet doux, qu'une fillette aura glissé dans
sa main en passant. Il était cacheté d'une épingle, qui
l'a outrageusement piqué.
La danse reprend: le Comte qui a lu le billet le retourne; il y voit l'invitation de renvoyer le cachet pour réponse. Il cherche à terre, et retrouve enfin l'épingle qu'il attache à sa manche.
 
FLa danse reprend: le Comte qui a lu le billet le retourne;
il y voit l'invitation de renvoyer le cachet pour réponse.
Il cherche à terre, et retrouve enfin l'épingle qu'il attache
à sa manche.
Figaro, à Suzanne et à Marceline.
 
FIGARO, à Suzanne et à Marceline.
D'un objet aimé tout est cher. Le voilà qui ramasse l'épingle. Ah ! c'est une drôle de tête !
 
D'un objet aimé tout est cher. Le voilà qui ramasse
l'épingle. Ah ! c'est une drôle de tête !
(Pendant ce temps, Suzanne a des signes d'intelligence avec la Comtesse. La danse finit, la ritournelle du duo recommence.)
 
Pendant ce temps, Suzanne a des signes d'intelligence avec
la Comtesse. La danse finit; la ritournelle du
duo
recommence.
(Figaro conduit Marceline au Comte, ainsi qu'on a conduit Suzanne; à l'instant où le Comte prend la toque et où l'on va chanter le duo, on est interrompu par les cris suivants:)
 
(Figaro conduit Marceline au Comte, ainsi qu'on a conduit
Suzanne; à l'instant où le Comte prend la toque, et où l'on
va chanter le
duo, on est interrompu par les cris suivans.)
L'Huissier, criant à la porte.
 
L’HUISSIER, criant à la porte.
Arrêtez donc, messieurs ! vous ne pouvez entrer tous… Ici les gardes ! les gardes ! (Les gardes vont vite à cette porte.)
 
Arrêtez donc, Messieurs, vous ne pouvez entrer tous…
Ici les gardes ! les gardes ! (Les gardes vont vîte à cette
porte.)
Le Comte, se levant.
 
LE COMTE, se levant.
Qu'est-ce qu'il y a ?
 
Qu'est-ce qu'il y a ?
L'Huissier
 
L’HUISSIER.
Monseigneur, c'est monsieur Bazile, entouré d'un village entier, parce qu'il chante en marchant.
 
Monseigneur, c'est monsieur Bazile entouré d'un vil-
lage entier, parce qu'il chante en marchant.
Le Comte
 
LE COMTE.
Qu'il entre seul.
 
Qu'il entre seul.
La Comtesse
 
LA COMTESSE.
Ordonnez-moi de me retirer.
 
Ordonnez-moi de me retirer.
Le Comte
 
LE COMTE.
Je n'oublie pas votre complaisance.
 
Je n'oublie pas votre complaisance.
La Comtesse
 
FLA COMTESSE.
Suzanne !… elle reviendra. (À part, à Suzanne.) Allons changer d'habits. (Elle sort avec Suzanne.)
 
Suzanne ?… elle reviendra. (à part à Suzanne)
Allons changer d'habits. (elle sort avec Suzanne.)
Marceline
 
MARCELINE.
Il n'arrive jamais que pour nuire.
 
Il n'arrive jamais que pour nuire.
Figaro
 
FIGARO.
Ah ! je m'en vais vous le faire déchanter !
 
Ah ! je m'en vais vous le faire déchanter !
SCÈNE X
 
SCENE X.
Tous les acteurs précédents, excepté la Comtesse et Suzanne; Bazile tenant sa guitare; Grippe-Soleil.
 
TOUS LES ACTEURS PRÉCÉDENTS, excepté la Comtesse
et Suzanne
; BAZILE tenant sa guitare, GRIPE-
SOLEIL.
Bazileentre en chantant sur l'air du vaudeville de la fin (air noté):
 
BAZILE entre en chantant sur l'air du Vaudeville/de la fin. (Air noté.)
    Cœurs sensibles, cœurs fidèles,
 
    "Cœurs sensibles, cœurs fidèles,
Qui blâmez l'amour léger,
 
Qui blâmez l'Amour léger,
Cessez vos plaintes cruelles :
 
Cessez vos plaintes cruelles ;
Est-ce un crime de changer ?
 
Est-ce un crime de changer ?
Si l'Amour porte des ailes,
 
Si l'Amour porte des ailes,
N'est-ce pas pour voltiger ?
 
N'est-ce pas pour voltiger ?
N'est-ce pas pour voltiger ?
 
N'est-ce pas pour voltiger ?
N'est-ce pas pour voltiger ?
 
N'est-ce pas pour voltiger ?"
Figaros'avance à lui.
 
FIGARO s'avance à lui.
Oui, c'est pour cela justement qu'il a des ailes au dos ; notre ami, qu'entendez-vous par cette musique ?
 
Oui, c'est pour cela justement qu'il a des ailes au
dos ; notre ami, qu'entendez-vous par cette musique ?
Bazile, montrant Grippe-Soleil.
 
BAZILE, montrant Gripe-Soleil.
Qu'après avoir prouvé mon obéissance à Monseigneur en amusant monsieur, qui est de sa compagnie, je pourrai, à mon tour, réclamer sa justice.
 
Qu'après avoir prouvé mon obéissance à Monseigneur,
en amusant Monsieur, qui est de sa compagnie, je pourrai
à mon tour réclamer sa justice.
Grippe-Soleil
 
FGRIPE-SOLEIL.
Bah ! Monsigneu ! il ne m'a pas amusé du tout : avec leux guenilles d'ariettes…
 
Bah ! Monsigneu ! il ne m'a pas amusé du tout : avec
leux guenilles d'ariettes…
Le Comte
 
LE COMTE.
Enfin que demandez-vous, Bazile ?
 
Enfin, que demandez-vous, Bazile ?
Bazile
 
BAZILE.
Ce qui m'appartient, Monseigneur, la main de Marceline ; et je viens m'opposer…
 
Ce qui m'appartient, Monseigneur, la main de
Marceline ; et je viens m'opposer…
Figaros'approche.
 
FIGARO s'approche.
Y a-t-il longtemps que monsieur n'a vu la figure d'un fou ?
 
Y a-t-il long-temps que Monsieur n'a vu la figure
d'un fou ?
Bazile
 
BAZILE.
Monsieur, en ce moment même.
 
Monsieur, en ce moment même.
Figaro
 
FIGARO.
Puisque mes yeux vous servent si bien de miroir, étudiez-y l'effet de ma prédiction. Si vous faites mine seulement d'approximer madame…
 
Puisque mes yeux vous servent si bien de miroir,
étudiez-y l'effet de ma prédiction. Si vous faites mine
seulement d'approximer Madame…
Bartholo, en riant.
 
BARTHOLO, en riant.
Eh pourquoi ? laisse-le parler.
 
Eh pourquoi ? laisse-le parler.
Brid'oisons'avance entre deux.
 
Brid'oisons'avance entre deux.
Fau-aut-il que deux amis ?…
 
Fau-aut-il que deux amis ?…
Figaro
 
FIGARO.
Nous, amis !
 
Nous amis !
Bazile
 
BAZILE.
Quelle erreur !
 
Quelle erreur !
Figaro, vite.
 
FIGARO, vîte.
Parce qu'il fait de plats airs de chapelle ?
 
Parce qu'il fait de plats airs de chapelle ?
Bazile, vite.
 
BAZILE, vîte.
Et lui, des vers comme un journal ?
 
Et lui, des vers comme un journal ?
Figaro, vite.
 
FFIGARO, vîte.
Un musicien de guinguette !
 
Un musicien de guinguette !
Bazile, vite.
 
BAZILE, vîte.
Un postillon de gazette !
 
Un postillon de gazette !
Figaro, vite.
 
FIGARO, vîte.
Cuistre d'oratorio !
 
Cuistre d'oratorio !
Bazile, vite.
 
BAZILE, vîte.
Jockey diplomatique !
 
Jockey diplomatique !
Le Comte, assis.
 
LE COMTE assis.
Insolents tous les deux !
 
Insolens tous les deux !
Bazile
 
BAZILE.
Il me manque en toute occasion.
 
Il me manque en toute occasion.
Figaro
 
FIGARO.
C'est bien dit, si cela se pouvait !
 
C'est bien dit, si cela se pouvait !
Bazile
 
BAZILE.
Disant partout que je ne suis qu'un sot.
 
Disant par-tout que je ne suis qu'un sot.
Figaro
 
FIGARO.
Vous me prenez donc pour un écho ?
 
Vous me prenez donc pour un écho ?
Bazile
 
BAZILE.
Tandis qu'il n'est pas un chanteur que mon talent n'ait fait briller.
 
Tandis qu'il n'est pas un chanteur que mon talent
n'ait fait briller.
Figaro
 
FIGARO.
Brailler.
 
Brailler.
Bazile
 
BAZILE.
Il le répète !
 
Il le répète !
Figaro
 
FIGARO.
Et pourquoi non, si cela est vrai ? es-tu un prince, pour qu'on te flagorne ? souffre la vérité, coquin ! puisque tu n'as pas de quoi gratifier un menteur ; ou si tu la crains de notre part, pourquoi viens-tu troubler nos noces ?
 
Et pourquoi non, si cela est vrai ? es-tu un prince,
pour qu'on te flagorne ? souffre la vérité, coquin ! puisque
tu n'as pas de quoi gratifier un menteur : ou si tu la crains
de notre part, pourquoi viens-tu troubler nos noces ?
Bazile, à Marceline.
 
FBAZILE, à Marceline.
M'avez-vous promis, oui ou non, si dans quatre ans vous n'étiez pas pourvue, de me donner la préférence ?
 
M'avez-vous promis, oui ou non, si dans quatre ans
vous n'étiez pas pourvue, de me donner la préférence ?
Marceline
 
MARCELINE.
À quelle condition l'ai-je promis ?
 
A quelle condition l'ai-je promis ?
Bazile
 
BAZILE.
Que si vous retrouviez un certain fils perdu, je l'adopterais par complaisance.
 
Que si vous retrouviez un certain fils perdu, je l'adop-
terais par complaisance.
Tous ensemble
 
Tous ensemble.
Il est trouvé.
 
Il est trouvé.
Bazile
 
BAZILE.
Qu'à cela ne tienne !
 
Qu'à cela ne tienne.
Tous ensemble, montrant Figaro.
 
Tous ensemble, montrant Figaro.
Et le voici.
 
Et le voici.
Bazile, reculant de frayeur.
 
BAZILE, reculant de frayeur.
J'ai vu le diable !
 
J'ai vu le diable !
Brid'oison, à Bazile.
 
Brid'oison, à Bazile.
Et vou-ous renoncez à sa chère mère !
 
Et vou-ous renoncez à sa chère mère !
Bazile
 
BAZILE.
Qu'y aurait-il de plus fâcheux que d'être cru le père d'un garnement ?
 
Qu'y aurait-il de plus fâcheux que d'être cru le père
d'un garnement ?
Figaro
 
FIGARO.
D'en être cru le fils ; tu te moques de moi !
 
D'en être cru le fils ; tu te moques de moi !
Bazile, montrant Figaro.
 
BAZILE, montrant Figaro.
Dès que monsieur est de quelque chose ici, je déclare, moi, que je n'y suis plus de rien.
 
Dès que Monsieur est de quelque chose ici, je déclare,
moi, que je n'y suis plus de rien.
(Il sort.)
 
(Il sort.)
SCÈNE XI
 
FSCENE XI.
Les acteurs précédents, excepté Bazile.
 
LES ACTEURS PRÉCÉDENTS, excepté BAZILE.
Bartholo, riant.
 
BARTHOLO, riant.
Ha ! ha ! ha ! ha !
 
Ha ! ha ! ha ! ha !
Figaro, sautant de joie.
 
FIGARO, sautant de joie.
Donc à la fin j'aurai ma femme !
 
Donc à la fin j'aurai ma femme !
Le Comte, à part.
 
LE COMTE, à part.
Moi, ma maîtresse. (Il se lève.)
 
Moi, ma maîtresse. (Il se lève.)
Brid'oison, à Marceline.
 
Brid'oison, à Marceline.
Et tou-out le monde est satisfait.
 
Et tou-out le monde est satisfait.
Le Comte
 
LE COMTE.
Qu'on dresse les deux contrats ; j'y signerai.
 
Qu'on dresse les deux contrats ; j'y signerai.
Tous ensemble
 
Tous ensemble.
Vivat ! (Ils sortent.)
 
Vivat ! (Ils sortent.)
Le Comte
 
LE COMTE.
J'ai besoin d'une heure de retraite.
 
J'ai besoin d'une heure de retraite.
(Il veut sortir avec les autres.)
 
(Il veut sortir avec les autres.)
SCÈNE XII
 
FSCENE XII.
Grippe-Soleil, Figaro, Marceline, le Comte.
 
GRIPE-SOLEIL, FIGARO, MARCELINE,
LE COMTE.
Grippe-Soleil, à Figaro.
 
GRIPE-SOLEIL, à Figaro.
Et moi, je vas aider à ranger le feu d'artifice sous les grands maronniers, comme on l'a dit.
 
Et moi, je vas aider à ranger le feu d'artifice sous
les grands maronniers, comme on l'a dit.
Le Comterevient en courant.
 
LE COMTE revient en courant.
Quel sot a donné un tel ordre ?
 
Quel sot a donné un tel ordre ?
Figaro
 
FIGARO.
Où est le mal ?
 
Où est le mal ?
Le Comte, vivement.
 
LE COMTE, vivement.
Et la Comtesse qui est incommodée, d'où le verra-t-elle, l'artifice ? C'est sur la terrasse qu'il le faut, vis-à-vis son appartement.
 
Et la Comtesse, qui est incommodée, d'où le verra-
t-elle l'artifice ? c'est sur la terrasse qu'il le faut, vis-à-vis
son appartement.
Figaro
 
FIGARO.
Tu l'entends, Grippe-Soleil ? la terrasse.
 
Tu l'entends, Gripe-soleil ? la terrasse.
Le Comte
 
LE COMTE.
Sous les grands maronniers ! belle idée ! (En s'en allant, à part.) Ils allaient incendier mon rendez-vous !
 
Sous les grands maronniers ! belle idée ! (en s'en
allant, à part)
Ils allaient incendier mon rendez-vous !
SCÈNE XIII
 
FSCENE XIII.
Figaro, Marceline.
 
FIGARO, MARCELINE.
Figaro
 
FIGARO.
Quel excès d'attention pour sa femme ! (Il veut sortir.)
 
Quel excès d'attention pour sa femme ! (Il veut sortir.)
Marcelinel'arrête.
 
MARCELINE l'arrête.
Deux mots, mon fils. Je veux m'acquitter avec toi : un sentiment mal dirigé m'avait rendue injuste envers ta charmante femme : je la supposais d'accord avec le Comte, quoique j'eusse appris de Bazile qu'elle l'avait toujours rebuté.
 
Deux mots, mon fils. Je veux m'acquitter avec toi :
un sentiment mal dirigé m'avait rendue injuste envers ta
charmante femme : je la supposais d'accord avec le
Comte, quoique j'eusse appris de Bazile qu'elle l'avait
toujours rebuté.
Figaro
 
FIGARO.
Vous connaissiez mal votre fils, de le croire ébranlé par ces impulsions féminines. Je puis défier la plus rusée de m'en faire accroire.
 
Vous connaissiez mal votre fils, de le croire ébranlé
par ces impulsions féminines. Je puis défier la plus rusée
de m'en faire accroire.
Marceline
 
MARCELINE.
Il est toujours heureux de le penser, mon fils ; la jalousie…
 
Il est toujours heureux de le penser, mon fils ; la
jalousie…
Figaro
 
FIGARO.
…N'est qu'un sot enfant de l'orgueil, ou c'est la maladie d'un fou. Oh ! j'ai là-dessus, ma mère, une philosophie… imperturbable ; et si Suzanne doit me tromper un jour, je lui pardonne d'avance ; elle aura longtemps travaillé… (Il se retourne et aperçoit Fanchette qui cherche de côté et d'autre.)
 
…N'est qu'un sot enfant de l'orgueil, ou c'est la
maladie d'un fou. Oh ! j'ai là-dessus, ma mère, une
philosophie… imperturbable ; et si Suzanne doit me
tromper un jour, je lui pardonne d'avance ; elle aura
long-temps travaillé… (Il se retourne et aperçoit Fanchette
qui cherche de côté et d'autre.)
SCÈNE XIV
 
FSCENE XIV.
Figaro, Fanchette, Marceline.
 
FIGARO, FANCHETTE, MARCELINE.
Figaro
 
FIGARO.
Eeeh… ma petite cousine qui nous écoute !
 
Eeeh… ma petite cousine qui nous écoute !
Fanchette
 
FANCHETTE.
Oh ! pour ça, non : on dit que c'est malhonnête.
 
Oh ! pour ça non : on dit que c'est malhonnête.
Figaro
 
FIGARO.
Il est vrai ; mais comme cela est utile, on fait aller souvent l'un pour l'autre.
 
Il est vrai ; mais comme cela est utile, on fait aller
souvent l'un pour l'autre.
Fanchette
 
FANCHETTE.
Je regardais si quelqu'un était là.
 
Je regardais si quelqu'un était là.
Figaro
 
FIGARO.
Déjà dissimulée, friponne ! Vous savez bien qu'il n'y peut être.
 
Déjà dissimulée, friponne ! vous savez bien qu'il n'y
peut être.
Fanchette
 
FANCHETTE.
Et qui donc ?
 
Et qui donc ?
Figaro
 
FIGARO.
Chérubin.
 
Chérubin.
Fanchette
 
FANCHETTE.
Ce n'est pas lui que je cherche, car je sais fort bien où il est ; c'est ma cousine Suzanne.
 
Ce n'est pas lui que je cherche, car je sais fort bien
où il est ; c'est ma cousine Suzanne.
Figaro
 
FIGARO.
Et que lui veut ma petite cousine ?
 
Et que lui veut ma petite cousine ?
Fanchette
 
FANCHETTE.
À vous, petit cousin, je le dirai. – C'est… ce n'est qu'une épingle que je veux lui remettre.
 
A vous, petit cousin, je le dirai. – C'est… ce n'est
qu'une épingle que je veux lui remettre.
Figaro, vivement.
 
FFIGARO, vivement.
Une épingle ! une épingle !… et de quelle part, coquine ? à votre âge, vous faites déjà un mét… (Il se reprend, et dit d'un ton doux.) Vous faites déjà très bien tout ce que vous entreprenez, Fanchette ; et ma jolie cousine est si obligeante…
 
Une épingle ! une épingle !… et de quelle part,
coquine ? à votre âge vous faites déjà un mét… (il se
reprend, et dit d'un ton doux)
Vous faites déjà très-bien
tout ce que vous entreprenez, Fanchette ; et ma jolie
cousine est si obligeante…
Fanchette
 
FANCHETTE.
À qui donc en a-t-il de se fâcher ? Je m'en vais.
 
A qui donc en a-t-il de se fâcher ? je m'en vais.
Figaro, l'arrêtant.
 
FIGARO, l'arrêtant.
Non, non, je badine ; tiens, ta petite épingle est celle que Monseigneur t'a dit de remettre à Suzanne, et qui servait à cacheter un petit papier qu'il tenait ; tu vois que je suis au fait.
 
Non, non, je badine ; tiens, ta petite épingle est
celle que Monseigneur t'a dit de remettre à Suzanne, et
qui servait à cacheter un petit papier qu'il tenait ; tu
vois que je suis au fait.
Fanchette
 
FANCHETTE.
Pourquoi donc le demander, quand vous le savez si bien ?
 
Pourquoi donc le demander, quand vous le savez si
bien ?
Figaro, cherchant.
 
FIGARO, cherchant.
C'est qu'il est assez gai de savoir comment Monseigneur s'y est pris pour t'en donner la commission.
 
C'est qu'il est assez gai de savoir comment Monseigneur
s'y est pris pour t'en donner la commission.
Fanchette, naïvement.
 
FANCHETTE, naïvement.
Pas autrement que vous ne dites : « Tiens, petite Fanchette, rends cette épingle à ta belle cousine, et dis-lui seulement que c'est le cachet des grands maronniers. »
 
Pas autrement que vous ne dites : tiens, petite Fanchette,
rends cette épingle à ta belle cousine, et dis-lui seulement que c'est
le cachet des grands maronniers
.
Figaro
 
FIGARO.
« Des grands… » ?
 
Des grands ?…
Fanchette
 
FANCHETTE.
« Maronniers. » Il est vrai qu'il a ajouté : « Prends garde que personne ne te voie. »
 
Maronniers. Il est vrai qu'il a ajouté : prends garde que
personne ne te voie
.
Figaro
 
FFIGARO.
Il faut obéir, ma cousine : heureusement personne ne vous a vue. Faites donc joliment votre commission ; et n'en dites pas plus à Suzanne que Monseigneur n'a ordonné.
 
Il faut obéir, ma cousine : heureusement personne ne
vous a vue. Faites donc joliment votre commission ;
et n'en dites pas plus à Suzanne que Monseigneur n'a
ordonné.
Fanchette
 
FANCHETTE.
Et pourquoi lui en dirais-je ? il me prend pour un enfant, mon cousin. (Elle sort en sautant.)
 
Et pourquoi lui en dirais-je ? il me prend pour un
enfant, mon cousin. (Elle sort en sautant.)
SCÈNE XV
 
SCENE XV.
Figaro, Marceline.
 
FIGARO, MARCELINE.
Figaro
 
FIGARO.
Eh bien, ma mère ?
 
bien, ma mère !
Marceline
 
MARCELINE.
Eh bien, mon fils ?
 
Hé bien, mon fils !
Figaro, comme étouffé.
 
FIGARO, comme étouffé.
Pour celui-ci !… il y a réellement des choses…
 
Pour celui-ci !… il y a réellement des choses…
Marceline
 
MARCELINE.
« Il y a des choses » ! hé, qu'est-ce qu'il y a ?
 
Il y a des choses ! hé ! qu'est-ce qu'il y a ?
Figaro, les mains sur la poitrine.
 
FIGARO, les mains sur la poitrine.
Ce que je viens d'entendre, ma mère, je l'ai là comme un plomb.
 
Ce que je viens d'entendre, ma mère, je l'ai là
comme un plomb.
Marceline, riant.
 
MARCELINE, riant.
Ce cœur plein d'assurance n'était donc qu'un ballon gonflé ? une épingle a tout fait partir !
 
Ce cœur plein d'assurance n'était donc qu'un ballon
gonflé ? une épingle a tout fait partir !
Figaro, furieux.
 
FFIGARO furieux.
Mais cette épingle, ma mère, est celle qu'il a ramassée !…
 
Mais cette épingle, ma mère, est celle qu'il a
ramassée !…
Marceline, rappelant ce qu'il a dit.
 
MARCELINE, rappelant ce qu'il a dit.
« La jalousie ! oh, j'ai là-dessus, ma mère, une philosophie… imperturbable ; et si Suzanne m'attrape un jour, je le lui pardonne… »
 
La jalousie ! oh, j'ai là-dessus, ma mère, une philo-
sophie… imperturbable ; et si Suzanne m'attrape un
jour, je le lui pardonne…
Figaro, vivement.
 
FIGARO, vivement.
Oh, ma mère ! on parle comme on sent : mettez le plus glacé des juges à plaider dans sa propre cause, et voyez-le expliquer la loi ! – Je ne m'étonne plus s'il avait tant d'humeur sur ce feu ! – Pour la mignonne aux fines épingles, elle n'en est pas où elle le croit, ma mère, avec ses maronniers ! Si mon mariage est assez fait pour légitimer ma colère, en revanche, il ne l'est pas assez pour que je n'en puisse épouser une autre, et l'abandonner…
 
Oh, ma mère ! on parle comme on sent : mettez le
plus glacé des juges à plaider dans sa propre cause, et
voyez-le expliquer la loi ! – Je ne m'étonne plus s'il avait
tant d'humeur sur ce feu ! – Pour la mignonne aux fines
épingles, elle n'en est pas où elle le croit, ma mère, avec
ses maronniers ! si mon mariage est assez fait pour légi-
timer ma colère, en revanche, il ne l'est pas assez pour
que je n'en puisse épouser une autre, et l'abandonner…
Marceline
 
MARCELINE.
Bien conclu ! abîmons tout sur un soupçon. Qui t'a prouvé, dis-moi, que c'est toi qu'elle joue, et non le Comte ? L'as-tu étudiée de nouveau, pour la condamner sans appel ? Sais-tu si elle se rendra sous les arbres, à quelle intention elle y va ? ce qu'elle y dira, ce qu'elle y fera ? Je te croyais plus fort en jugement.
 
Bien conclu ! abymons tout sur un soupçon. Qui t'a
prouvé, dis-moi, que c'est toi qu'elle joue, et non le
Comte ? L'as-tu étudiée de nouveau, pour la condamner
sans appel ? sais-tu si elle se rendra sous les arbres, à
quelle intention elle y va, ce qu'elle y dira, ce qu'elle
y fera ? je te croyais plus fort en jugement.
Figaro, lui baisant la main avec respect.
 
FIGARO, lui baisant la main avec respect.
Elle a raison, ma mère, elle a raison, raison, toujours raison ! Mais accordons, maman, quelque chose à la nature ; on en vaut mieux après. Examinons en effet, avant d'accuser et d'agir. Je sais où est le rendez-vous. Adieu, ma mère.
 
Elle a raison, ma mère, elle a raison, raison, toujours
raison ! mais accordons, maman, quelque chose à la
nature ; on en vaut mieux après. Examinons en effet,
avant d'accuser et d'agir. Je sais où est le rendez-vous.
Adieu, ma mère.
(Il sort.)
 
(Il sort.)
SCÈNE XVI
 
FSCENE XVI.
Marceline, seule.
 
MARCELINE seule.
Adieu ; et moi aussi, je le sais. Après l'avoir arrêté, veillons sur les voies de Suzanne ; ou plutôt avertissons-la ; elle est si jolie créature ! Ah ! quand l'intérêt personnel ne nous arme pas les unes contre les autres, nous sommes toutes portées à soutenir notre pauvre sexe opprimé, contre ce fier, ce terrible… (en riant.) et pourtant un peu nigaud de sexe masculin.
 
Adieu : et moi aussi, je le sais. Après l'avoir arrêté,
veillons sur les voies de Suzanne ; ou plutôt avertissons-la ;
elle est si jolie créature ! Ah ! quand l'intérêt personnel ne
nous arme pas les unes contre les autres, nous sommes
toutes portées à soutenir notre pauvre sexe opprimé,
contre ce fier, ce terrible… (en riant) et pourtant un
peu nigaud de sexe masculin.
(Elle sort.)
 
(Elle sort.)
Fin du quatrième acte.
 
Fin du quatrième Acte.